Auteur : Julien Colonna, né en 1982, est un réalisateur et scénariste Français. Il est diplômé en Sciences sociales de l’Université de Paris-IX Dauphine, puis étudie l’écriture de scénario. Il réalise plusieurs courts métrages dont Confession (2015), tourné dans les bidonvilles de Bangkok et primé dans de nombreux festivals. Il est également l’auteur d’une série Gloria en six épisodes (2021). Son premier long métrage, Le Royaume a été sélectionné à Cannes 2024 dans la section Un Certain regard.
Interprètes : Ghjuvanna Benedetti (Lesia) ; Saveriu Santucci (Pierre-Paul).
Résumé : Nous sommes en 1995 dans une Corse déchirée par les luttes des nationalistes et les règlements de compte des mafieux. Une adolescente se lance dans une cavale avec son père, contraint de fuir une guerre qui vient d’éclater entre plusieurs clans rivaux.
Analyse : Un premier film bluffant d’un Corse qui parle de son île, de ce qu’il connait, et évite tous les clichés et le folklore que les médias et certains films nous montrent avec une certaine complaisance. Certes il est question de banditisme, de vendetta et d’affaires « d’hommes ». Mais le réalisateur a l’habilité de nous montrer cette réalité à travers le regard d’une adolescente de 15 ans et de se centrer sur l’histoire d’une relation familiale et intime entre un père, Pierre-Paul, et sa fille, Lesia, qui vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser. Une fille qui vit la vie insouciante de toutes les adolescentes de son âge, jusqu’au jour où, s’apprêtant à aller à la plage, une moto vient la chercher chez sa tante où elle vit pour l’emmener auprès de son père. Un père qui est un des parrains du milieu de la Corse du sud et qui va de cachette en cachette, entouré de ses hommes de main, poursuivit par la vengeance d’une bande rivale prête à l’exécuter comme il a lui-même exécuté les assassins de son père. La Vendetta, la grande malédiction de cette si belle île. Quel est l’adolescent.e qui, élevé.e en Corse, n’a pas entendu dans son enfance des histoires de vendettas qui ont touché sa famille ou des gens du village ? Le réalisateur sait de quoi il parle. Fils d’une légende du banditisme corse, Jean-Jérôme Colonna, dit Jean-Jé, mort « accidentellement » en voiture, qui a vengé méthodiquement l’assassinat de son propre père. Ce n’est pas pour autant un film autobiographique. « Ce que je raconte n’est pas autobiographique, insiste le réalisateur, mais la relation entre le père et la fille est assez proche de celle que j’ai vécue avec mon propre père…une fiction qui n’a rien d’un travail de mémoire. » Le scénario, coécrit avec Jeanne Herry, réalisatrice de Pupille et de Je verrai toujours vos visages (voir la fiche du 9 avril 2923), nous conte certes une histoire de gangsters où planent la mort brutale et la peur qui l’accompagne, mais c’est aussi une chronique d’un tendre amour filial à travers le regard d’une adolescente qui nous fait voir sa nouvelle réalité. Au début elle ne comprend pas bien ce qui se passe. Elle écoute, observe, voit ces hommes, pleins d’attention et de tendresse pour elle, qui chuchotent entre eux, qui s’étreignent et pleurent lorsque la télévision relate un attentat avec les images d’une voiture éventrée et des passagers assassinés. C’est d’ailleurs à peu près les seules images de violence que nous montrera le film car c’est seulement ce que voit Lesia. Puis on l’observe doucement grandir, devenir plus adulte, surtout au contact de son père qui ne la quitte plus. Une merveilleuse complicité nait entre eux, avec des scènes magnifiques, parties de pêche ou discussions à la belle étoile. Pierre-Paul lui raconte alors son histoire, l’assassinat de son père et l’engrenage de la vengeance qui s’en est suivi, faisant entrer Lesia dans son royaume secret. C’est un point de vue important pour le réalisateur. Que laissent ces hommes à leurs enfants ? « Ce qui m’intéressait n’était pas tant la guerre des clans que la façon dont les choix de vies marginaux de ces hommes ont influencé la vie de ceux qui les ont faits comme leur entourage et plus particulièrement leurs enfants » nous dit-il. Une mise en scène juste et épurée, une œuvre maîtrisée qui mélange astucieusement les genres, qui nous montre une Corse magnifique mais sans complaisance, un thriller haletant avec ses lourds silences, porté par deux acteurs non professionnels exceptionnels d’authenticité, un film captivant et poignant.