Auteur : Laurent Cantet est né en juin 1961 dans les Deux Sèvres. Il obtient une maîtrise d’audiovisuel à Marseille, puis intègre l’IDHEC en 1984. Il occupe diverses fonctions dans le cinéma : chef opérateur, décorateur, scénariste. Il est l’auteur de plusieurs courts métrages dont un en 2012 : « 7 jours à la Havane » qui préfigure son gout pour Cuba. Il est l’auteur de sept longs métrages y compris ce dernier, dont « Entre les murs » qui obtient en 2008 la Palme d’or du 61ème festival de Cannes.
Résumé : Le film retrace une longue soirée et une nuit de retrouvailles entres cinq amis de toujours, sexagénaires, qui ont traversé l’époque castriste, le temps de la « période spéciale », et qui fêtent le retour de l’un d’eux émigré en Espagne.
Analyse : Laurent Cantet est un documentariste dans l’âme, au sens le plus noble du terme : celui qui utilise sa caméra non pour faire une œuvre de pur esthétisme mais pour nous livrer une œuvre d’esthétisme moral, c’est-à-dire éthique, qui délivre un message et nous montre à voir une part d’humanité. Sans sacrifier aux modes qu’un réalisateur palmé se doit de suivre, Laurent Cantet se paye le luxe de nous offrir un film d’auteur, artisanal, sans pour autant sacrifier à la technique cinématographique qu’il maîtrise parfaitement, pour notre plus grand bonheur.
Sur une terrasse d’un immeuble de La Havane, qu’on ne quittera qu’une brève fois, la réunion est joyeuse. Le film s’ouvre sur une séance de joie communicative. Ces amis, heureux de se retrouver dansent et chantent avec la légèreté d’amis qui se retrouvent enfin et qui se préparent à faire la fête. Puis au fil des échanges la joie et la légèreté s’estompent et laissent place à la nostalgie, à la désillusion face à l’échec des rêves qui ont bercé leur jeunesse et de l’avenir radieux qu’on leur avait promis et qui n’a jamais été au rendez-vous. La critique du régime castriste est féroce : « Nous sommes nous trompés ou pire, nous a-t-on trompés ? »
On pourrait penser que Cantet a fait du théâtre filmé, car on retrouve les règles fondatrices du théâtre classique. Unité de lieu : le décors est quasiment unique, une terrasse d’un immeuble de La Havane. Unité de temps : le film se déroule entre 15 h environ jusqu’à l’aube. Unité de thème : le film suit une seule intrigue. Mais Cantet est beaucoup plus habile. Il ne nous enferme pas dans ce huit clos à ciel ouvert. D’un côté l’horizon s’ouvre sur l’océan, bleu infini, symbole d’une liberté impossible. De l’autre la vue s’étale sur les toits de la ville et la vie de ses habitants ; leur dispute ou leur survie, comme ceux qui égorgent un cochon sur une terrasse voisine.
Quant au dialogue, porté par des acteurs d’un grand charisme, et qui vivent leur rôle comme sans doute ils ont vécu leur vie, il révèle rapidement leur désillusion, leur frustrations, leur agressivité parfois les uns vis-à-vis des autres sur la manière dont chacun s’est accordé de sa vie, certains pratiquant le fuite, d’autres la compromission, d’autres encore subissant la résignation. Mais il n’y a pas que cela. Ce qui nous les rend si attachants c’est leur quête de bonheur auquel ils refusent de renoncer, c’est leur inquiétude devant la génération de leurs enfants qui eux aussi veulent fuir. Comme le dit Cantet « C’est une histoire cubaine qui touche des préoccupations universelles ». Et c’est sans doute ce qui nous accroche tant au film, jusqu’à la révélation finale d’Amadéo qui nous démontre le mécanisme terrifiant et incontrôlé de la peur et qui nous donne une grande leçon d’humanité. Amadéo, comme Ulysse, veut revenir dans son île pour se retrouver lui-même, pour retrouver sa mémoire, sans laquelle, comme il le dit lui-même on ne peut écrire. Son retour à Ithaque est le retour vers l’écriture et la création.