Auteur : Hirokazu Kore Eda est un réalisateur japonais de 53 ans. Il débute par des documentaires. Il réalise son premier long métrage en 1995, Marobosi, qui reçoit le Prix Osella d’Or au Festival de Venise. Suivent After life (1998), réflexion sur le passé et la mort, puis Distance (2001), présenté en Compétition à Cannes. De nouveau à Cannes en 2004 avec Nobody knows. En 2009 un nouveau film très remarqué, Still Walking. Après l’adaptation de mangas, il revient au cinéma avec I wish en 2012. Prix du jury à Cannes en 2013 avec Tel père tel fils, il est de nouveau présent à Cannes en 2015 avec Notre petite sœur.
Résumé : Trois sœurs Sachi, Yoshino, et Chika, vivent ensemble à Kamakura. Elles se rendent à l’enterrement de leur père qui les avait abandonnées quinze ans auparavant. Elles font alors la connaissance de leur demi-sœur, Suzu, âgée de treize ans. Elles décident d’accueillir l’orpheline dans la grande maison familiale.
Analyse : Si vous pensez aller voir un film sur la famille avec ses cris, ses chuchotements, ses déchirements, voir une histoire avec un début, un développement, une fin, alors abstenez vous ; vous vous êtes trompé de film. Il ne se passe rien dans Notre petite sœur, ou pas grand chose. Pourtant ce film emporte l’adhésion de nombreuses critiques. Comment l’expliquer ? D’une part il y a la magie d’un cinéaste habile et de grand talent. Ce peintre des relations familiales, nous fait entrer avec grâce, légèreté, délicatesse et élégance dans le quotidien de ce gynécée que l’on a du mal à quitter. Un quotidien dans un lieu de rêve, ponctué par le fumet des repas qui sont autant d’occasion de se souvenir des êtres passés et qui subtilement, évitent les flash back, comme l’affirme le réalisateur. Un quotidien sans mélodrame, lumineux, plein d’émotions, de tendresse et d’amour ; même si parfois affleurent les problèmes de chacune : le dialogue un peu vif entre Sachi et sa mère, ou le mal être de Suzu « Où que je sois, ma présence blesse quelqu’un ». Mais sans lourdeur, avec une sensation d’élégance féminine à fleur de peau, de sensibilité maîtrisée – et non de sensiblerie –, d’équilibre, de douceur de vivre. Malgré les différences de culture ou de mode de vie Kore-Eda nous fait partager un sentiment de grande familiarité qui nous donne envie de nous attabler avec elles pour goûter à leurs tartines d’alevins vivants ou leurs légumes marinés. On a vraiment du mal à ne pas les aimer ces quatre là.
Ensuite à aucun moment le réalisateur ne nous laisse gagner par l’ennui. Même si on vit le quotidien de ces sœurs, il est plein de nuances, de justesse de ton, échappant ainsi à la mièvrerie, critique qu’on a parfois entendu à Cannes. Elles ont chacune leur personnalité bien affirmée, Sachi l’ainée, l’infirmière, la sérieuse qui fait fonction de mère, Yoshito, la légère, qui cumule les aventures et les échecs, Chika, l’ingénue. « On pourrait s’attendre à ce que le film décrive essentiellement des liens horizontaux, mais comme la sœur ainée a du très vite endosser un rôle de mère, les relations des quatre sœurs ont tout de même une réalité verticale. Cette contradiction m’a beaucoup intéressé » nous dit Kore Eda. On se sent bien dans cette famille de femmes où les hommes ont un rôle de second plan, certes nécessaire, mais de second plan tout de même.
Enfin on ne peut pas ne pas être touchés par la grande beauté de certains scènes : la ballade de Suzu à vélo à l’ombre de la canopée des cerisiers en fleurs, et par le graphisme de certains cadrages (Kore Eda a adapté un manga à succès, Kamakura Diary, d’Akimi Yoshida). La finesse du jeu des quatre comédiennes et la présence lumineuse de la petite sœur ajoute une touche supplémentaire à notre bonheur.