Auteur : Vincent Dieutre est un français de 55 ans qui est à la fois réalisateur, acteur, scénariste et producteur. Il a réalisé onze long métrages parmi lesquels Déchirés/graves, Despues de la revolucion, Mon voyage d’hiver ou Leçons de ténèbres. Orlando Ferito est son quatrième documentaire.
Résumé : Dans ce documentaire qui est un objet filmique unique et inclassable Vincent Dieutre nous livre ses réflexions, à travers le jeu des marionnettes siciliennes de l’opéra dei Pupi, et à partir du texte de Pasolini baptisé les lucioles, sur l’état politique et social de l’Italie, dans une errance poétique dans laquelle il nous parle de ses rencontres, de ses amants, et qui nous le montre sous un jour résolument optimiste.
Analyse : Le réalisateur revient en Sicile et dans le sud de l’Italie, un pays auquel il est particulièrement attaché. Le point de départ est l’article publié par Pasolini dans le Corriere della sera du 1er février 1975 sous le titre Le vide du pouvoir en Italie, connu comme l’article des lucioles, car Pasolini métaphoriquement y annonçait la fin des lucioles pour faire le bilan amer de la situation politique économique sociale catastrophiques de son pays. Pasolini terminait son article ainsi « Je donnerais toute la Montedison, encore que ce soit une multinationale, pour une luciole ». Dieutre met en opposition avec le pessimisme pasolinien « La survivance des lucioles », ouvrage d’un philosophe français, longuement interviewé, Georges Didi-Huberman. Cet auteur est lucide ; il ne nie pas la catastrophe et le tableau qu’il dresse est sans illusion, mais il nous montre qu’il existe des lumières possibles qu’il nous appartient de faire vivre et qui pourraient annoncer une possible renaissance. L’opéra des Pupi sert de contrepoint avec un texte que Dieutre a écrit lui-même et qui est une variation du texte de l’Arioste (auteur du fameux Orlando Furioso). Roland blessé se relève et c’est une marionnette obstinée, Luciolino, qui fait entrevoir ces lueurs d’une possible renaissance et annonce une autre manière d’habiter le monde.
Dieutre est un esthète et un poète. La beauté des paysages siciliens et des toits de Palerme limbés de la lumière du soir, qu’il filme avec amour et sensualité, nous montre qu’il ne veut se résoudre à ce pessimisme pasolinien. Mais il n’est pas idéaliste pour autant. Il promène un regard lucide sur l’Italie berlusconienne au summum de son obscénité dans les émissions de télévision et la soif de consommation et de jouissance incarnée dans une jeunesse dorée sur laquelle il s’attarde quelques instants.
Un autre aspect de ce documentaire est une sorte de voyage dans son intime, avec ses amours chaque fois inassouvis : un de ses amants repart faire sa vie ailleurs, un autre est mariés et père de famille. Mais l’attente est dénuée de toute amertume. Il nous promène dans ce jardin d’Eden d’une maison de campagne prêtée par son amant et dans laquelle il l’attend, patiemment, jouissant des instants qu’il peut lui accorder entre obligations professionnelles et familiales.
Dieutre poursuit son voyage plus au Sud, vers Noto puis Lampedusa. La personne chargée d’accueillir les réfugiés nous montre bien que si l’île se ferme elle meurt. L’accueil est la force vitale de notre continent européen.
Ce film nous prend tout entier dans sa poésie et son optimisme. On en sort l’esprit léger, comme les lucioles qui reparaissent dans le ciel de Palerme. Un petit bémol : l’intrusion parfois un peu pesante des Pupi alourdit un peu le propos.