Auteur : Laetitia Carton est une jeune réalisatrice et scénariste de 42 ans. Après des études d’art elle s’intéresse au documentaire de création. Elle fait un master de réalisation documentaire. Son film de fin d’études, D’un chagrin j’ai fait un repos est largement diffusé et remporte un prix à Cuba. Elle réalise en 2009 un premier film de 90′ pour la télévision, La pieuvre, sur la maladie de Huntington. En 2014 elle réalise son premier long métrage Edmond, un portrait de Baudoin qui est un auteur de bande dessinées.
Résumé : « Ce film est adressé à mon ami Vincent, mort il y a dix ans. Vincent était sourd. Il m’avait initiée à la langue des signes. Je lui donne aujourd’hui des nouvelles de son pays, ce monde inconnu et fascinant, celui d’un peuple qui lutte pour défendre sa culture et son identité. » Laetitia Carton.
Analyse : Ce film est un documentaire qui nous emmène dans un monde que nous connaissons mal, ou que nous ne voulons pas connaître, le monde des sourds. Film écrit en souvenir de Vincent, homme de théâtre, sourd et homosexuel, qui, victime de l’ostracisme de la société, s’est donné la mort. Cet ami avait entrainé la réalisatrice dans son monde en lui faisant apprendre la langue des signes et le projet de ce film était né entre eux.
Le propos est délibérément militant. Laetitia Carton filme plusieurs familles dont une en particulier qui doit s’exiler à Toulouse pour mettre ses enfants dans une des rares écoles françaises qui accueille les sourds avec un enseignement adapté, qui pratique notamment la langue des signes. Elle s’intéresse également à la marche qu’une association de sourds avait organisée entre Paris et Milan pour attirer l’attention des médias.
Tous les protagonistes de ce film soulignent l’absurdité du système français actuel, aussi bien celui de l’éducation nationale que celui du monde médical, tous deux désespérément sourds, c’est le cas de le dire, à la détresse et à la spécificité du monde des sourds. La politique actuelle est en effet de tout fonder sur l’oralité, au nom d’une uniformisation, forçant les malentendants à prononcer, au prix d’efforts constants et peu concluants ; quant au monde médical, il s’échine à vouloir réparer les oreilles en appareillant les sourds, au détriment de la langue des signes. Or les personnes filmées réclament que ce soit la langue des signes, qu’ils jugent riche et complexe, qui soit enseignée car elle est leur culture et la richesse de leur monde. Un professeur de LDS (langue des signes) nous apprend d’ailleurs que « signer » ne passe pas seulement par les mains mais par le regard, l’expression, l’attitude et qu’un même mot peut être « dit » de multiples manières.
Ce film émouvant nous confronte à des problèmes que la communauté des « entendants » ne perçoit pas toujours. C’est une très salutaire immersion dans ce monde que l’on découvre joyeux, solidaire, chaleureux, uni par des manifestations sociales, comme des bals ou l’élection de Miss France des sourds. Le terme malentendant est d’ailleurs à proscrire car il implique un handicap. Handicap qui est fortement récusé. Au contraire c’est un monde lié par une culture et un langage spécifique qu’ils veulent préserver, formant une communauté au sens le plus positif du terme. Non comme synonyme d’exclusion mais au contraire comme une intégration dans une société avec les spécificités qui sont les leurs.
On pardonnera un montage un peu brouillon car ce documentaire poétique et émouvant est un film nécessaire qui nous force à réfléchir.