Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, Babel 7.16
Sidi Larbi Cherkaoui est un chorégraphe flamand-marocain. Enfant des banlieues il devient dessinateur et chorégraphe. Puis il prend la direction artistique du Ballet royal de Flandres et de la compagnie qu’il crée, Eastman. Il travaille beaucoup sur le thème de l’identité et du dialogue ; ses spectacles en attestent : Genessis signé avec la danseuse chinoise Yabin Wang, Dunas, avec la danseuse de flamenco Maria Pagés, Ook avec Nienke Reehorst et les acteurs trisomiques du Theater Stap. Cinéma, opéra, théâtre sont également ses centres d’intérêt. Il a créé des séquences pour les spectacles de Michael Jackson, ONE et Kurios pour le Cirque du Soleil, bref un homme curieux de toutes les formes d’art et d’expression. Il revient pour la cinquième fois au Festival d’Avignon.
Damien Jalet est danseur et chorégraphe franco-belge. Après des études de théâtre à l’Insas à Bruxelles il s’oriente vers la danse contemporaine. Sa collaboration avec Sidi Larbi Cherkaoui est ancienne. Il a beaucoup dansé pour le chorégraphe (Rien de rien, Foi, Myth, Shell Shock, etc…) et a co-signé avec lui D’avant avec deux danseurs de Sacha Waltz (2002) et Boléro créé pour l’Opéra de Paris (2013). Il travaille également régulièrement avec la danseuse et chorégraphe islandaise Erna Òmarsdòttir. Lui aussi est sensible au dialogue interdisciplinaire : il a collaboré avec le metteur en scène Arthur Nauzyciel, avec le plasticien américain Jim Hodges, avec le styliste Hussein Chalayan et le philosophe Giorgio Agemben. En 2013 il a dirigé trois nocturnes au Musée du Louvre. Il est actuellement en résidence à la Villa Kujoyama au Japon où il développe une recherche avec le plasticien Kohei Nawa.
Babel (words) avait été créé en 2010 en collaboration avec Antony Gormley. Face à la barbarie des attentas les auteurs ont voulu créer une « célébration de la coexistence ». Avec le décors emblématique de la Cour d’honneur du Palais des Papes la pièce a pris une tout autre dimension. Une vingtaine de danseurs et danseuses, des musiciens et chanteurs venus de tous les horizons (deux musiciens de musique médiévale italienne, espagnole et française, deux musiciens et chanteurs du Rajasthan, des percussionnistes et chanteurs japonais). Une magnifique scénographie où de grandes structures légères de forme carrée ou rectangulaire de toutes dimensions, sont manipulées par les danseurs qui en font soit une cage les emprisonnant, soit un passage obligé d’embarcation d’un aéroport, soit un carrousel tournoyant dans lequel les danseurs passent en dansant d’une structure à une autre, soit un empilement formant une tour (de Babel ?), dans un jeu éblouissant. Des corps à corps, des courses, des ensembles bien ordonnés où les pieds des danseurs s’enchevêtrent comme pour une immense réconciliation. Danseurs très métissés, venus du monde entier et parlant 17 langues différentes. Le mythe de l’épisode biblique (les hommes ont lancé la tour de Babel pour atteindre le ciel ; Dieu les punira en brouillant leur langue afin qu’ils ne se comprennent plus) est rappelé lorsque tous les danseurs se mettent à s’apostropher, chacun dans sa langue, dans une joyeuse cacophonie. Mais de ce chaos va naître le langage commun des corps qui très vite se rejoignent et prouvent que la coexistence est possible, même si on ne se comprend pas.
La danse est ponctuée de discours emprunts d’une certaine naïveté, mais non sans humour, sur la valeur du palais des Papes (qui pourrait être vendus à 7 milliards d’euros pour une bonne rentabilité de 600 000 visiteurs par an !), sur le rôle des neurones-miroirs, sur l’avenir de la danse contemporaine belge, ou, plus sérieusement sur la place prépondérante de la langue anglaise (qui pourrait sans doute résoudre le problème de l’incommunicabilité ?). Mais la danse reste omniprésente dans un spectacle de toute beauté qui clôt, pour moi, magnifiquement ce festival d’Avignon.