Auteur : Jean-François Sivadier est un comédien, auteur et metteur en scène de théâtre et d’opéra de 53 ans. Il a mis en scène une douzaine de pièces de théâtre dont de nombreuses ont été présentées au festival d’Avignon comme La vie de Galilée de Bertold Brecht (2002 et 2005), La mort de Danton de Georg Büchner, (2005), Le roi Lear de William Shakespeare (2007), Partage de midi de Paul Claudel (2008). Depuis quelques années il est un régulier metteur en scène du Théâtre national de Bretagne où il a d’ailleurs monté en mars dernier Dom Juan. Il a également produit des mises en scènes d’opéra, à Lille en particulier, Madame Butterfly de Puccini (2004), La Traviata, de Verdi pour le festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence (2011), L’incoronazione di Poppea de Monteverdi (2012) et Il babiere di Siviglia de Rossini (2013). C’est également un comédien qui a joué dans de nombreuses pièces de théâtre et également dans certaines qu’il a mises en scène lui-même comme La vie de Galilée, Le roi Lear ou La mort de Danton.
Analyse : Sivadier ne fait pas du théâtre à la manière d’un antiquaire, c’est-à-dire le théâtre pour le théâtre, mais à la manière d’un historien qui nous parle du passé pour mieux éclairer ou illustrer le présent. Il casse volontiers les codes du théâtre et dépoussière des pièces qui nous disent notre actualité en les modernisant et en mélangeant savamment les genres : théâtre certes, mais aussi cabaret, karaoké, musique de Marvin Gaye (Sexual Healing), Sade avant l’heure (extrait de La philosophie dans le boudoir), Brassens (paroles de la chanson Les passantes) bien avant l’heure. C’est véritablement jouissif ! Le plateau est transformé en une sorte d’endroit improbable où les sphères lumineuses qui pendent rappellent le ciel, l’univers, et sont une réminiscence de la vie de Galilée, où la fragilité des décors qui peuvent se démanteler ou crouler à tout moment, nous rappelle celle de notre monde instable et précaire. La scénographie de Daniel Jeanneteau est remarquable et féerique.
Molière a écrit cette pièce après la polémique du Tartuffe. Dans le Dom Juan il va plus loin encore, défie les hypocrisies sociales et religieuses et les bigots, ceux qui parlent sans cesse et agissent au nom de Dieu, prône la liberté. Dans le spectacle le mot « ciel », prononcé 62 fois, est ponctué par un compte à rebours qui s’affiche sur un panneau lumineux, manière de quantifier l’hypocrisie. C’est un véritable hymne à la liberté du corps et de l’esprit que nous a offert ce provocateur de Molière et que la magistrale mise en scène de Sivadier nous aide à redécouvrir.
Mais ce spectacle ne serait pas ce qu’il est sans l’impressionnant, brillant et magnifique Nicolas Bouchaud. C’est un fidèle de Sivadier. Il a joué dans toutes ses grandes mises en scène auxquelles il a collaboré. Il me souvient notamment d’un été en Avignon, en 2005, où il avait le rôle titre des deux pièces présentées par le metteur en scène, La vie de Galilée et La mort de Danton. Il s’empare ici de son texte avec l’énergie qu’on lui connaît et croque son rôle avec une gourmandise goulue et jouissive. Il occupe tout l’espace par sa présence souveraine et joyeuse. Il sait jouer sur tous les registres : il est à la fois, avec la même force et le même bonheur, brave et lâche, souriant et ténébreux, subtil et grossier, bavard et taiseux, insolent, blasphémateur et faussement soumis. Ce Dom Juan n’a peur de rien, ne croit ni en dieu ni en diable, n’est lié par aucune convention, aucun préjugé. L’essentiel est de vivre pleinement ce que l’on est, de séduire et d’assouvir tous ses désirs, quel qu’en soit l’objet : belles ou laides, bourgeoises ou paysannes, célibataires ou promises. Nicolas Bouchaud sait insuffler à son personnage une énergie farouche qui nous entraine dans un rythme endiablé du début à la fin, au point qu’on peut se demander : « mais comment tient-il ? ». Il sautille, descend dans la fosse des spectateurs pour séduire avec malice des spectatrices auxquelles il demande leur nom, leur provenance et auxquelles il offre des fleurs, pour ensuite les nommer dans son texte. Manière de faire participer le public, de s’appuyer sur lui et de l’acquérir à sa cause.
Mais il serait injuste de ne citer que Nicolas Bouchaud, certes un de nos meilleurs acteurs de théâtre actuel, du niveau d’un Jouvet en son temps ; les acteurs qui l’entourent sont également excellents : Stephen Butel, Marc Arnaud, Lucie Valon, Marie Vialle. Une mention très spéciale au lumineux Vincent Guédon dans le rôle d’un Sganarelle, tout en finesse et subtilité.
On peut regretter, mais reproche vraiment mineur, une petite baisse de régime dans certains passages, notamment la scène entre les paysans joués par Stephen Butel et Lucie Valon, qui n’enlève rien à ce formidable spectacle.
Ce spectacle passe à l’Odéon à Paris jusqu’au 4 novembre. Il tourne depuis mars dernier mais est prévu fin novembre à Lausanne, début décembre à Nantes, début janvier à Strasbourg et mi-janvier à Grenoble.