Auteur : Kore-Eda Hirokazu est un cinéaste japonais de 54 ans. En 1995, il réalise son premier long métrage de fiction, Maborosi, qui reçoit le Prix Osella d’Or au Festival de Venise. Suivent Après la vie (1998), réflexion sur le passé et la mort, puis Distance (2001), présenté en Compétition à Cannes. Il revient sur la Croisette en 2004, et de nouveau en Compétition, avec Nobody knows, où il conte avec tendresse le terrible quotidien d’enfants livrés à eux-mêmes. Cette œuvre vaut à son jeune acteur de 14 ans le Prix d’interprétation. En 2009, Kore-Eda Hirokazu présente Still Walking, qui aborde le thème du deuil au sein d’une famille japonaise. Après l’adaptation d’un manga et une incursion dans le téléfilm il revient au cinéma et aux histoires de familles en 2012, avec un nouveau long-métrage, I Wish, sur la relation particulière de deux frères séparés par le divorce de leurs parents. Il présente à Cannes dans la sélection officielle en 2013 Tel père tel fils qui obtient le Prix du Jury. Suit en 2014 Notre petite sœur présenté en compétition officielle. Après la tempête a été présenté dans la sélection Un certain regard à Cannes en 2016.
Résumé : Malgré un début de carrière d’écrivain prometteur, Ryota perd son temps en travaillant comme détective privé. Surtout il perd son argent en pariant aux courses. Divorcé de Kyoko, il ne parvient pas à payer la pension alimentaire pour son fils de 11 ans. Il essaye vainement de regagner la confiance de son ex-femme et de prendre une place dans la vie de son fils. Alors qu’une tempête se prépare, Yoshiko, la mère de Ryota, demande à son fils et à son ex-belle-fille venue chercher leur fils, de rester pour la rassurer. Ils sont ainsi contraints de passer une nuit ensemble. L’occasion d’un nouveau départ ?
Analyse : Une fois encore, après notamment Still Walking, I Wish, Tel père tel fils et Notre petite sœur, Kore Eda brosse le tableau de drames intimistes qui secouent la famille ébranlée par ses échecs et ses rancœurs, écartelée entre modernité et tradition, mais qui malgré tout reste bien vivante. Vu le sujet traité on aurait pu ressentir ce film comme un drame. Mais ce n’est pas le cas. Avec une grande maîtrise de sa mise en scène, le réalisateur, dans ce récit en demi-teinte, brosse ce portait de famille avec son habituelle délicatesse, une finesse et une légèreté qui touchent à la grâce et qui lui donnent sa place parmi les grands maîtres du cinéma japonais à l’égal d’un Ozu ou d’un Naruse. Pourtant le héros et père de famille n’est guère reluisant. Écrivain en panne d’inspiration, c’est un perdant sur tous les plans. Un père et un mari défaillant quitté par sa femme et qui ne voit plus guère son fils, un joueur invétéré qui engage dans sa passion du jeu le peu d’argent qu’il gagne et ne paie pas la pension alimentaire de son fils, un frère peu attentif et jaloux, un menteur, un voleur qui ose voler sa propre mère. Le bilan est lourd. Et pourtant ! Grâce à la subtilité du metteur en scène qui préfère mettre l’accent davantage sur la fragilité de cet être médiocre, sur la dose d’amour qu’il porte en lui, sur son humanité, il nous émeut et prête davantage à nous faire sourire qu’à émettre un jugement moral. Même si Kore Eda plus que dans ses autres films, dresse ici un tableau de vies déçues sans qu’apparaisse une lueur d’espoir, tout juste un apaisement après la tempête, il ne nous laisse jamais dans le désespoir ou la colère mais dans l’émotion d’une vie complexe où les problèmes affleurent dans le fil d’un quotidien banal et anodin. Aucune insistante ni lourdeur mais une grande bienveillance et un humour discret qui irrigue certaines scènes. Même la musique se fait discrète, voire inexistante et n’entend ni accompagner ni souligner. Il émerge alors, comme souvent chez ce réalisateur, une grande nostalgie, de ce qui a été et de ce qui aurait pu être.
On goutera en particulier les dialogues entre Ryota (Hiroshi Abe) et sa mère, Yoshiko, incarnée par la merveilleuse Kirin Kiki, la vieille dame des Délices de Tokyo qui savait si bien faire les dorayakis (voir notre commentaire sous ce film) et que l’on retrouve avec plaisir. Elle comprend tout et les déceptions de sa propre vie lui donnent un regard distancié sur elle-même et sur la vie de son fils. Dans sa sagesse elle s’inquiète de la quête de son fils qui veut reconquérir sa femme mais ne s’en donne pas les moyens car il ne change en rien. Elle a manigancé pour que les deux parents et leur fils se retrouvent dans son appartement alors qu’un typhon s’abat sur la ville. C’est le moment important du film car vont se concentrer leur animosité et ce qu’il reste de leur tendresse. Mais si l’eau du typhon peut laver les amertumes, elle ne lave pas la médiocrité des êtres qui forgent leur malheureux destin. Il n’y a donc aucun espoir que l’avenir change. Le seul espoir est dans le conseil que donne Yoshiko à son fils qui semble le comprendre : « Tout le monde ne peut pas devenir celui qu’il voudrait être » ; et nous devons l’accepter.
Merci pour cette très belle analyse…
La finesse de ce film est remarquable, mais pour ma part j’ai préféré les deux précédents (« Notre petite soeur » et « Tel père tel fils »).
Un tableau tellement réaliste d’une grande partie de la société japonaise, où les femmes ne sont libres que divorcées ou veuves. Une très grande subtilité aussi dans les moyens cinématographiques employés. Mais je me suis ennuyée par instants !
Quand je vois KIRIN KIKI à l’affiche je m’y précipite. Ce film où se mêlent noirceur et douceur ponctué par une merveilleuse ironie des dialogues est un beau portrait d’une famille déchirée. Fragile et émouvant ce film m’a touchée.