Auteur : Barbet Schroeder est un réalisateur et producteur suisse né en 1941. Il fait ses études en France et devient assistant stagiaire de Jean-Luc Godard avec lequel il participe à la Nouvelle vague. À 22 ans il fonde la société Les Films du Losange. Ses premières réalisations sont More (1969) et La Vallée (1972), deux films emblématiques de la culture hippie, avec la musique des Pink Floyd. Sa filmographie comprend plus d’une vingtaine de titres dont Maîtresse (1976) avec Bulle Ogier, sa femme, et Gérard Depardieu, The Charles Bukowski Tapes (1987), Le Mystère von Bülow (1990) Amnesia (2015). Le vénérable W est le troisième d’une trilogie du mal, le premier étant Général Idi Amin Dada, Autoportrait, le second L’avocat de la terreur sur Jacques Vergès.
Résumé : un court métrage précède le film. Un voisin de barbet Schroeder a coupé tous ses arbres mutilant à jamais le paysage de l’enfance. Pour soigner sa haine il part en Birmanie se replonger dans le bouddhisme, découvert à 20 ans. Il retrouve un pays déchiré par la haine, celle des bouddhistes qui, galvanisés par les discours du vénérable Wirathu, tuent et massacrent les musulmans, au nom de la religion …
Analyse : Ce film nous rappelle douloureusement un drame que soit nous ignorons, soit nous ne voulons pas voir, soit nous préférons oublier : le génocide des populations musulmanes en Birmanie, particulièrement la minorité des Rohingyas. Avec détachement et sang froid, ce qui donne plus de force à son documentaire, Barbet Schroeder filme les propos glaçants du vénérable Wirathu, qu’il préfère nommer par ses initiales. Enrobés dans un discours serein pseudo intellectuel et débités sur un ton d’évidence dans un calme très … bouddhiste ce moine nous assène son fanatisme, ses propos racistes et islamophobes. Il commence par nous dire qu’il a écrit un livre sur les poissons-chats d’Afrique. Tiens ! Un scientifique ! Les poissons-chats étudiés sont très vifs, dit il, ils se reproduisent très rapidement, essaiment partout, détruisent leur environnement et se mangent entre eux. Et d’ajouter : les musulmans sont comme ça ! Le ton est donné ! Là on comprend que le personnage rond et sympathique est en fait un petit Hitler en robe de bure orange. Que contrairement aux enseignements de sa religion et de ses maîtres il oublie l’amour et pratique la haine. Qu’il est très dangereux car capable, comme son modèle, de galvaniser les foules par son discours nauséabond qui fait froid dans le dos. Mais plus dangereux encore car il le fait comme on récite une prière, devant des fidèles manipulés et à sa dévotion. Il leur distille la peur, celle de la « disparition de la race », titre d’un de ses ouvrages. Mais si le Bouddha utilisait ces termes il englobait dans sa bonté tous les hommes quels qu’ils soient ! Il parlait de race humaine sans distinction d’origine, de religion, ou de couleur de peau. La haine qu’avait fui le réalisateur vient donc se nicher au sein d’une religion connue pour sa tolérance et l’amour du prochain. Condamné en 2003 à 25 ans de prison pour incitation à la haine raciale, Wirathu est libéré en 2012 lors d’une amnistie générale. Il fonde alors le mouvement Ma Ba Tha (Comité pour la protection de la race et de la religion) qui lui assure une grande notoriété. On pourrait se demander comment il a accepté de participer à ces interviews. Il semble que le réalisateur ait usé de ruse auprès de lui en lui disant que ses thèses étaient très proches de celles du Front national en France qui était représenté dans les élections présidentielles. Contrairement à ce que le Maître a escompté, loin de soigner sa notoriété ce film est, semble-t-il, depuis sa sortie source d’ennuis pour lui. On peut l’espérer !
Ce documentaire est riche et complexe ; il est ponctué d’images d’archives, de témoignages qui montrent la genèse d’un mouvement qui n’est pas récent, les terribles atrocités et assassinats, les maisons de musulmans incendiées par milliers, les corps calcinés, les lynchages qui n’épargnent ni femmes ni enfants dont ce discours est à l’origine. Sa portée est universelle et en ce sens il ne peut laisser indifférent ; il prend toute sa valeur pédagogique à l’heure où les populismes de tout poil fleurissent partout dans notre monde dit « civilisé ».