12 JOURS

Auteur : Raymond Depardon, né en 1942 à Villefranche-sur-Saône, est un photographe, réalisateur, journaliste et scénariste français. A 16 ans il devient l’assistant du photographe Gilles Foucherand. Celui-ci est bientôt associé à l’agence Delmas, qui envoie Depardon en Afrique pour suivre l’expédition SOS-Sahara en 1960. Il en revient avec un reportage très remarqué lors de sa publication dans Paris-Match, puis couvre les guerres d’Algérie et du Vietnam. En 1966, il co-fonde la mythique agence Gamma, pour laquelle il part en reportage au Tchad, au Biafra ou encore à Prague : le film consacré à l’immolation de l’étudiant Jan Palach deviendra d’ailleurs son premier court-métrage en 1969. Héritier du cinéma direct, il est considéré comme l’un des maîtres du film documentaire. Auteur de plusieurs courts-métrages et quelques longs métrages, il se fait le témoin du quotidien des photographes de presse (Reporters, César du meilleur documentaire en 1982) ou d’une équipe de policiers (Faits divers), et s’immisce dans des institutions aussi fermées que l’univers hospitalier (l’asile psychiatrique de San Clemente, le service des Urgences de l’Hôtel-Dieu) ou la justice, avec Délits flagrants (1994), qui lui vaut un deuxième César et plus tard (2004) 10e Chambre – instants d’audience. Il est également l’auteur de quelques films de fiction. Photographe et cinéaste à la réputation mondiale, Depardon multiplie les projets les plus variés (films, expos, ouvrages, publicités…) tout en restant fidèle à certaines thématiques. Il est membre de Magnum Photos depuis 1979. Il est l’auteur de la photo officielle du président François Hollande.

Résumé : Hôpital psychiatrique Vinatier de Lyon ; l’audition par un magistrat de personnes enfermées contre leur consentement, dans les 12 premiers jours de leur enfermement, comme l’exige la loi.

Analyse : Dans l’œuvre filmographique abondante de Raymond Depardon (pas moins de 57 films) ce documentaire poursuit ses préoccupations sur le fonctionnement de la justice et sur l’enfermement. On y retrouve la même bienveillance, la même humanité du réalisateur qui veut donner la parole à ceux qui sont rarement entendus. Dans 12 jours il filme les entretiens de 10 personnes enfermées en hôpital psychiatrique contre leur volonté. La loi fait obligation à l’administration de ces hôpitaux de les présenter à un juge avant la fin des 12 premiers jours de leur enfermement pour vérifier que la procédure a bien été appliquée et décider de poursuivre ou non cet enfermement.

La bande son du générique donne le ton : des bruits de portes qui se ferment bruyamment et des serrures qui claquent. Puis commence un très long et lent travelling dans des couloirs vides, impeccables et froids, où l’on voit une infirmière sortir de ce qui semble être une chambre en refermant la porte à clé.

Le film se déroulera essentiellement dans le huis clos du bureau des auditions du magistrat. Trois caméras pour filmer le ou la juge d’un côté, les malades de l’autre avec leur avocat, dans une série de champs contre champs qui ajoutent à cette impression d’enferment et d’incommunicabilité. La troisième caméra nous donnera parfois une vision d’ensemble du bureau.

Comme à son habitude Depardon sait se faire oublier et nous nous trouvons au cœur de ces entretiens avec un malaise grandissant car les cadrages au plus près des malades arrivent à faire naître en nous des sentiments plus complexes que ceux que l’on pensait éprouver. Cette part d’humanité, si faible si vulnérable nous renvoie nécessairement à nous même, à nos propres failles.

Depardon ne porte strictement aucun jugement condescendant envers les malades, ou critiques envers les magistrats mais met en lumière la difficulté de communication entre eux. Face à ces êtres hébétés, incohérents, assommés de médicaments, à l’élocution saccadée et balbutiante, la parole du magistrat se fait précise et souvent incompréhensible, « poly addiction », « curatelle renforcée », « prévention de récidive d’un passage à l’acte ». La rigueur du langage juridique renforce l’enfermement de ceux qui ne le comprennent pas mais dont la vie et la liberté sont suspendues à sa signification. Les magistrats sont sincèrement embarrassés devant des situations qu’ils ne peuvent maîtriser, se contentant de vérifier que la procédure a bien été respectée et de suivre l’avis des certificats médicaux qui sont au dossier, impuissants à soulager la détresse de ceux qui veulent fuir un lieu dans lequel on les oblige à rester. « À quoi servez-vous ? » leur demandera un malade. « À rien » répondra une juge, fataliste. Comment en effet réagir devant cette quadragénaire qui veut absolument sortir pour qu’on la laisse se suicider tant sa solitude est grande, ou devant cette jeune femme qui veut en finir car trop souvent violée, même par télépathie dit-elle, ou devant cet être perdu qui insiste pour que l’on contacte son père … qu’il a tué !

L’honneur de Depardon est d’avoir donné la parole à ces êtres en souffrance, à nous inviter à les regarder avec bienveillance, humanité et amour.

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