UN HOMME INTÈGRE

Auteur : Mohammad Rasoulof est né en 1973 à Chiraz. Après avoir étudié la sociologie il fait des études de montage cinématographique à Téhéran. En décembre 2010, il a été arrêté avec Jafar Panahi, avec qui il coréalisait un film, pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique d’Iran ». Mohammad Rasoulof a été condamné à un an de prison et Jafar Panahi à six ans. Il est l’auteur de plusieurs longs métrages, qui n’ont pas tous été distribués en France. En 2005, La Vie sur l’eau se penche sur une communauté vivant sur un navire et que le propriétaire vend en pièces détachées. Dans Au revoir (2011) présenté à Cannes dans la section Un certain regard et qui a remporté le Prix de la mise en scène, il montrait déjà que la seule issue pour vivre dans son pays était d’en partir. Le film Les manuscrits ne brûlent pas est également présenté à Cannes en 2013 dans la sélection Un certain regard, et il remporte le Prix FIPRESCI. Son nom ne figure pas au générique. Le film Un homme intègre a été présenté au Festival de Cannes 2017 en sélection Un certain regard et a remporté le Prix Un certain regard. Pour ce même film, Reza Akhlaghirad a remporté le prix du meilleur acteur au Festival international du film d’Antalya 2017. Ce film a valu à Rasoulof des ennuis dans son pays (passeport confisqué, convocation à un interrogatoire) des autorités qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime.

Résumé : Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons rouges. Une compagnie a des visées sur son terrain et est prête à tout pour le contraindre à vendre. Comment pourra-t-il résister ?

Analyse : C’est un film terrible que nous donne, au péril de sa liberté, Mohammad Rasoulof. Un brulot âpre et dur contre certains aspects de la société iranienne. De quelque côté que l’on se tourne il n’y a dans ce film que corruption, petits arrangements, passe-droits, concussion, arbitraire. Aucun domaine n’y échappe, banque, assurance, police, justice, administration pénitentiaire. L’atmosphère est pesante car le réalisateur met en lumière la peur sourde que fait peser l’État iranien, épaulé par les religieux, sur les plus petits, les plus faibles, sur ceux qui ne veulent ou ne peuvent entrer dans le jeu, qui sont intègres et qui se feront laminer s’ils résistent. Mais peut-on résister longtemps ? Ce film, très pessimiste, nous montre que c’est impossible. Reza va de catastrophes en catastrophes parce qu’il veut rester propre. Il perd sa pisciculture, sa liberté, sa maison ; il est asphyxié par des amendes colossales et injustifiées, son propre ménage vacille car sa femme le voudrait moins rigide, jusqu’au moment où lui-même se salira les mains en imaginant un plan machiavélique. Finalement, terrible ironie, il aura une proposition de recrutement par ceux-la même qui l’ont persécuté.

Par une mise en scène précise et efficace le réalisateur maintient tout au long du film une tension permanente. Reza (remarquable Reza Akhlaghirad) a le visage grave, fermé, presque buté, les yeux noirs. Ce visage dit tout sans que le réalisateur ait à insister, ce qui lui permet de pratiquer habilement l’ellipse. Les seuls moments où Reza sourit sont lorsqu’il se trouve avec sa si belle femme (Soudabeh Beizaee) et son fils. Il résistera longtemps avec force et détermination, jusqu’au moment où … Rassoulof au travers d’autres personnages et scènes secondaires nous expose, par touches, d’autres problèmes de la société iranienne, comme l’intolérance religieuse poussée au point que, dans une scène terrible, le cimetière est refusé aux parents qui veulent enterrer leur fille qui, rejetée de l’école parce que non musulmane, s’est suicidée.

Dans ce film sombre le réalisateur nous donne des scènes d’une grande beauté : sa pisciculture grouillante de poissons rouges, ou cette même pisciculture rouge de tous les poissons morts au milieu desquels se trouve Reza, consterné, comme si c’était son sang qui était répandu. Des scènes également particulièrement impressionnantes : en rentrant chez lui Reza croise une nuée de motards, comme des frelons qui vont s’abattre sur lui ou des oiseaux de mauvaise augure. Et lorsqu’il arrivera chez lui le malheur sera là. De même une nuée de corbeaux voraces et inquiétants, comme ceux d’Hitchcock, annonciateurs de malheur.

Rasoulof s’est nourri d’une expérience personnelle. Un contrôle de police se termine par une demande de pot de vin. Il s’est retrouvé en prison après avoir dénoncé, preuves à l’appui, les policiers ripoux. Comme Jafar Panahi il est privé de son passeport et est sous le coup d’une condamnation à la prison. L’homme intègre c’est bien lui qui tout au long de sa filmographie a inlassablement dénoncé, avec un courage exemplaire, le système politico religieux mis en place par l’État iranien. « Le système a inculqué le recours à la corruption comme un élément de la culture commune de ce pays, dit-il. Refuser d’être un maillon de cette chaine vous expose à vous retrouver seul et à devenir un marginal. Nous sommes tous impliqués. Et tout le monde se résigne. »

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