KREATUR de Sacha WALTZ
J’ai commencé le festival d’Avignon par de la danse contemporaine, histoire de ménager les transitions !
Sacha Waltz est une chorégraphe allemande, née en 1963 à Karlsruhe. Après une formation entre Amsterdam et New York elle fonde sa compagnie Sacha Waltz & Guests. En 1996 elle inaugure son centre de production pour le théâtre et la danse contemporaine, Sophiensaele. Elle devient membre de la direction artistique de la Schaubüne am Lehniner Platz Berlin de 1999 à 2004. En 2004 elle crée son premier opéra chorégraphique Didon et Enée. Elle reçoit de nombreux prix Européen et prendra la co-direction du Staatsballett à Berlin en 2019/2020 avec Johannes Ohman. Elle a été souvent présente au festival d’Avignon en 1999, dans la Cour d’honneur en 2002 avec noBody, en 2004, et en 2013 avec Dialoge 20-13 dans le cadre du programme « Des artistes un jour au Festival ». Sa danse est très charnelle, avec une étude très esthétique des corps.
Kreatur est un spectacle pour quatorze interprètes, qui révèle un travail profond sur les états des corps, qu’il s’agisse de violence, de rapports de force, de dérèglements en tout genre, de sensualité aussi surtout. L’ensemble sur une musique électro-caverneuse du trio Soundwalk Collective qui a collecté ses sons dans des espaces urbains berlinois, en partie produite et mixée in situ et en temps réel, admirablement diffusée, amplifiée dans la salle monumentale à l’acoustique irréprochable ; avec des costumes design de la créatrice de mode Iris van Herpen, insolites, qui voilent les corps des interprètes et les valorisent par la même occasion, des tutus renouvelés en forme d’enveloppes de tulle qui évoquent les cocons de papillons sur des danseurs quasiment nus, des minirobes au plissage horizontal, en soufflet d’accordéon, une danseuse recouverte d’une peau hérissée de longs piquants noirs assez effrayants qui d’un seul coup ôte cette carapace qu’elle dispose au sol prenant alors la forme d’une table au design très contemporain. Les danseurs traversent des mondes très contrastés. Image évanescente d’êtres sous cocons – premier tableau magnifique –, spasmes nerveux version tribu en transe, mouvements gelés, tronqués, saccadés, désarticulés, utilisation de plaques de plastique comme des miroirs sans tain qui décomposent les personnages. L’intensité du spectacle ne mollit à aucun moment jusqu’à la fin. La séquence tribale d’une nervosité folle est particulièrement saisissante. Des moments de violence, dérangeants et magnifiques, lorsque un homme fait tourbillonner comme une toupie une femme en la tenant par sa queue de cheval, ou un autre qui marque sa partenaire avec une perceuse… La parole est présente, d’abord par bribes puis des mots sur les frontières, l’écologie, la révolution. Les lumières d’Urs Schönebaum, participent à la beauté plastique de l’ensemble. Un rail lumineux fluctuant découpe l’horizon sur lequel les silhouettes des danseurs se découpent en contrejour. Puis les corps retrouvent leur couleur chair dans des scènes où des grappes humaines se rassemblent et donnent l’impression d’un grouillement qui ne manque pas de sensualité, s’accouplent avec une violence inhumaine. Dernière image : une femme encerclée par un film de plastique éclairée en douche par un projecteur, semble apporter la tendresse et l’amour, tandis que la chanson de Gainsbourg, « Je t’aime… moi non plus », vient conclure la soirée.
C’est un spectacle magnifique et parfois dérangeant, aux images somptueuses qui aborde de manière frontale plusieurs sujets de notre temps : la solitude, la fragilité des êtres, la violence, l’amour et la haine, l’enfermement et la liberté, le pouvoir et l’impuissance.