Auteur : Lukas Dhont est un jeune réalisateur flamand né en 1991 et vivant à Gand. Avant Girl, son premier long métrage, il a réalisé quelques courts métrages dont Corps perdu en 2012 et L’infini en 2014. Son film Girl a remporté quatre distinctions à Cannes cette année : la Caméra d’Or dans la section Un certain regard qui récompense les premiers longs métrages, le Prix d’interprétation pour Victor Polster (c’est la première fois que ce prix est attribué sans précision de genre), le Prix FIPRESCI de la Critique Internationale et la Queer Palm.
Résumé : Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile, alors qu’elle est née garçon. Elle suit un traitement hormonal et, avec le soutien de son père, elle intègre une école de danse. Elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais son corps ne se plie pas si facilement à la discipline des exercices. Le film suit le quotidien d’une adolescente transgenre entre ses rendez-vous médicaux, sa pratique de la danse, sa vie familiale. Il nous montre aussi l’impatience de cette jeune adolescente à réaliser sa transformation et son rêve.
Analyse : Ce premier film de Lukas Dhont est une totale réussite. Le sujet, difficile, aurait pu être traité comme un thème de société, politique et militant, en insistant sur les souffrances de la personne transgenre et les difficultés rencontrées dans son entourage social et familial. Rien de tout cela. Le jeune réalisateur de 26 ans a choisi une toute autre voie. Il nous offre un film sobre, pudique, émouvant, intelligemment réalisé. Le thème ne se limite d’ailleurs pas à la question du transgenre. C’est d’avantage l’histoire d’une transition : celle qui transformera Victor en Lara, celle de l’adolescence avec ses affres et son mal être, celle de l’apprentissage d’un métier, la danse, symbole ici de la maîtrise par Lara d’un corps qu’elle voudrait différent.
Ce rapport de Lara avec son corps est au cœur du film. Aucun élément extérieur ne vient la perturber. Elle a la chance de vivre dans une famille très aimante, un père compréhensif et tendre avec son enfant, (extraordinaire Arieh Worthalter), qui est prêt à tout sacrifier pour le bonheur de son enfant et aide Lara à assumer sa féminité. Son milieu professionnel l’accepte, elle est recrutée pour un stage comme danseuse et non danseur, malgré une scène assez traumatisante pour elle où au cours d’une fête d’anniversaire une de ses camarades de danse l’oblige à montrer ses attributs masculins. Pourtant en dépit de cet environnement plutôt favorable Lara est anxieuse, impatiente d’être débarrassée de ce sexe qui n’est pas le sien et qu’elle cache en le scotchant, au prix de grandes souffrances. Elle ressent une terrible frustration : ses seins ne poussent pas assez vite et on vient de lui annoncer que l’opération est retardée car la danse renforce les os, ce qui contrarie les effets des inhibiteurs d’hormones. Cette lutte avec elle-même, ce tourment intérieur est magnifiquement filmé et rendu par le jeu remarquable de ce jeune danseur du Royal ballet d’Anvers dont c’est le premier rôle, Victor Polster, choisi parmi 500 candidats. Un jeu subtil, tout en nuance, en finesse, et qui passe souvent par ses regards profonds et ses silences. La caméra suit Lara au plus près, dans les répétitions d’une chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, avec des plans serrés sur ses jambes, ses pieds ensanglantés par l’apprentissage du port des chaussons de danse, son visage qui manifeste sa volonté farouche, ses efforts pour arriver à ce but tant convoité, devenir une danseuse étoile. Le réalisateur nous montre également Lara dans son intimité, dans sa solitude, dans ses interrogations devant un miroir, dans ses rapports avec son père. La première scène est magnifique : une jeune fille, dans une douce lumière, est allongée et joue avec son petit frère. Ce n’est que progressivement, par une mise en scène intelligente et subtile, que l’on comprend que cette superbe jeune fille est en réalité Victor. Surprenante métamorphose qui nous fait totalement oublier son corps masculin et nous donne le magnifique portrait d’une jeune adolescente en pleine mutation.
Lukas Dhont s’est inspiré de l’histoire vraie d’une jeune fille qui, bien que née dans un corps de garçon, voulait devenir danseuse étoile et qui a accepté de lui raconter son expérience. Le réalisateur en a tiré un film émouvant, délicat, tout en nuances, sans aucun voyeurisme, qui nous fait pénétrer dans l’intime de la douleur sourde et violente d’une adolescente en pleine mutation.