Auteur : Fils du réalisateur et dialoguiste Michel Audiard, Jacques Audiard, né en 1952, se destine au professorat, mais après des études de Lettres avortées, il se lance dans le cinéma et débute comme monteur. Au début des années 80, il s’essaie avec succès à l’écriture de scénarios. Il passe à la mise en scène en 1994 avec Regarde les hommes tomber. Le film remporte le César du Meilleur premier film ainsi que le prix Georges-Sadoul. Deux ans plus tard, le cinéaste réalise, Un héros très discret (prix du Meilleur scénario au festival de Cannes 1996). Il met cinq ans pour réaliser son film suivant, Sur mes lèvres. Ce troisième film remporte aux César le prix du Meilleur scénario. Vient ensuite De battre mon cœur s’est arrêté (2005). Quatre ans après il réalise Un prophète. Le film remporte le Grand Prix au festival de Cannes 2009 et récolte neuf César dont celui du Meilleur réalisateur, ainsi qu’une nomination pour le Meilleur film étranger aux Oscars. Suit De rouille et d’os (2012). Trois ans plus tard, le metteur en scène présente à Cannes son drame Dheepan pour lequel il reçoit la Palme d’or.
Résumé : Dans les années 1850, entre l’Oregon et la Californie, en pleine Ruée vers l’or, les frères Sisters, Charlie et Elie, sont employés par un sénateur véreux « le Commodore » pour soutirer le secret d’un chimiste ayant découvert le moyen de déceler l’or dans une rivière. Tueurs à gages, ils n’éprouvent aucun état d’âme à tuer. C’est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Eli, lui, ne rêve que d’une vie normale. Leur quête va faire remonter à la surface leur drame familial commun, remettre en question leur raison de vivre, tout comme leurs idéaux sur l’avenir d’un pays naissant, et leur permettre de découvrir leur part d’humanité.
Analyse : Un western réalisé par un français très peu coutumier du genre, voilà de quoi nous rendre méfiants. On aurait tort car le dernier film d’Audiard est une totale réussite. Certes on y trouve tous les poncifs du genre : le crépitement des balles, les hommes qu’on abat comme des cibles de foire, la magnifique scène d’ouverture avec ferme en flamme, chevauchée des deux bandits et plan cruel d’un cheval en feu fuyant à l’horizon. Mais à y regarder de plus prêt il se révèle un western un peu particulier. Un « western apaisé » comme le dira le réalisateur lui-même. Audiard a fortement bousculé les codes du genre et a réalisé un film dans le style de ce que l’on a appelé le « western crépusculaire », dans la lignée des Sam Peckinpah, Howard Hawks ou Arthur Penn, ou plutôt un anti western original où il n’est question ni de bons et de méchants, ni d’honneur à venger, ni de saloons avec des dames au rôle bien défini, ni de shérif, mais avec des personnages qui lisent, qui écrivent, qui parlent de politique. Audiard nous plonge, avec des revirements constants de situation assez spectaculaires, dans une analyse profonde des rapports de fraternité : quelle place a le cadet par rapport à son ainé ? peut-il le commander ? peut-il faire fi de ses conseils ? Certes ce sont des brutes épaisses, violentes et à la gâchette facile, qui tuent simplement tout ce qui encombre leur route ; mais au travers de leurs discussions très freudiennes, l’humain transparaît avec ses fragilités, sa vulnérabilité, et le poids d’un lourd passé familial. Le cadet dira que s’ils sont violents c’est au sang pourri de leur père qu’ils le doivent, un père, abruti sanguinaire, qu’il a fini par tuer mais dont le fantôme les hante. Récit douloureux qui donne au film une tonalité grave, tragique, intime et bouleversante. C’est un conte noir, philosophique, brutal et plein d’humour, tiré de l’œuvre du canadien Patrick De Witt. Cette chevauchée s’achèvera sur ce que Eli, l’ainé, souhaite profondément, le retour à une vie paisible, chez maman, dans la douceur du cocon maternel sur laquelle s’achève le film. C’est le message d’humanité que nous transmet Audiard : même chez les pires individus il y a l’espoir du changement et de la rédemption. Et c’est ce qui en fait un grand film.
Derrière cette histoire Audiard mène également une réflexion sur l’Amérique, celle d’hier et d’aujourd’hui. Toujours avoir plus, toujours aller plus loin dans l’utilisation des moyens techniques sans souci de l’environnement, le capitalisme violent ; mais aussi la préoccupation de certains, qui constituent l’espoir, pour une société de partage, sans violence, sans crimes, où chacun trouvera sa place sans bousculer les autres.
Ajoutons que le film est une réussite également par sa mise en scène parfaite, brillante, très maîtrisée et précise, récompensée à la Mostra de Venise par un Lion d’Argent, par les très belles lumières de Benoît Debie, par la musique très jazzy d’Alexandre Desplat et par un quatuor d’acteurs américains remarquables, John C. Reilly dans le rôle d’Eli, l’ainé, Joaquin Phoenix dans le rôle de Charlie le cadet, Jake Gyllenhaal dans le rôle du détective converti aux thèses de Warm, le savant utopiste, incarné par Riz Ahmed.
J’ai beaucoup aimé ce film et je n’ai pas grand chose a ajouté à ton analyse. Tu as les mots que je n’ai pas trouvés pour traduire exactement ce que j’ai ressenti.
Merci pour tout ces fines analyses.
Hélène
ravie de te savoir de retour !je suis allée voir ce film en fin d’apres midi et justement j’avais envie de lire un commentaire .merci
bise .