Auteur : Barry Jenkins, né en 1979, est un scénariste, réalisateur, acteur américain. Il réalise en 2003 un premier court métrage My Joséphine. Puis en 2008 un premier long métrage, Medecine for Melancoly, qui n’a pas été distribué en France. Moonlight son second long métrage (2017), qui n’est joué que par des acteurs afro-américains, a obtenu l’Oscar du Meilleur film, l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle pour Mahershala Ali, l’Oscar du meilleur scénario adapté pour Barry Jenkins et Tarell Alvin McCraney. Si Beale Street pouvait parler a obtenu le Prix de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Regina King aux Golden Globes 2019.
Résumé : Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, accusé d’un viol qu’il n’a pas commis, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer…
Analyse : Encore un film sur la ségrégation raciale aux États Unis pensera-t-on. Oui, et il n’y en aura jamais assez quand on voit que la question loin d’être réglée, retrouve aujourd’hui avec les idées véhiculées par Donald Trump un regain d’actualité. Après le lumineux Moonlight (voir ma fiche du 4 mars 2017) Barry Jenkins nous donne une adaptation fidèle de l’œuvre éponyme de James Baldwin. Cet auteur américain, mort en 1987, chantre des droits civiques, est adapté pour la première fois par Hollywood. Son œuvre est pourtant extrêmement importante tant de point de vue littéraire que pour ses prises de position très engagées pour la cause de ses compatriotes afro-américains. Raoul Peck lui a rendu un magnifique hommage dans un documentaire qu’il lui a consacré I am not your negro (voir ma fiche du 12 mai 2017). Ce livre a été écrit en 1974 alors qu’il avait jeté l’éponge et avait quitté les États Unis pour venir s’installer en France. C’est un non violent, persuadé que seul l’amour sera capable de sauver les Noirs de leur condition et l’humanité du chaos. Et c’est l’amour et la beauté qui inondent d’un bout à l’autre ce film lumineux, délicat, sensuel et émouvant. L’amour pur et irrésistible de ce couple d’une beauté et d’une innocence sublimes, l’amour de la famille de Tish, l’amour qui conjure la peur, l’amour que l’on doit transmettre à travers une vitre de parloir (« Je ne souhaite à personne de ne plus pouvoir regarder l’homme aimé qu’à travers une vitre ») ; une passion amoureuse qui touche à l’universel, au-delà de tout communautarisme. Scène bouleversante de tendresse et d’émotion lorsque Tish annonce à Fonny par l’interphone du parloir qu’il va être père … L’ostracisme dont ils sont victimes, loin de les séparer, les soude plus fort encore, car seul l’amour peut triompher de l’inhumanité et de la haine ; en ce sens ils paraissent indestructibles, même s’ils sont rongés par l’injustice qui touche leur race. La beauté, la pureté contre la haine, l’humanisme contre la barbarie. Le réalisateur donne le temps au temps en insufflant à son film un rythme et une lenteur qui nous amènent à vivre pleinement cet amour fou et émouvant avec douceur et mélancolie.
On retrouve dans ce long métrage toutes les qualités que l’on avait appréciées dans Moonlight : des plans très soignés, des cadrages précis et impeccables, une caméra qui filme avec sensualité les personnages au plus près, nous les rendant si proches et si attachants, une lumière mordorée qui caresse les visages avec élégance. Les couleurs sont éclatantes malgré le propos dramatique, ce qui a été reproché au film avec la trop grande beauté des personnages. Reproche bien injustifié, comme s’il fallait être laid, le couteau entre les dents et dépenaillé pour s’insurger contre une injustice ! Au contraire, on saura gré au réalisateur de n’être tombé dans aucun misérabilisme, ce qui ne nous empêche pas d’être révoltés au plus profond de nous-même par ce racisme qui brise des vies, des vies qui pourraient être les nôtres tant ce couple nous est familier. C’est ce qui fait l’originalité de ce film tout en douceur, en grâce et en intelligence.
Le film insiste également sur le racisme judiciaire et policier de cette Amérique des années 70 (mais n’est-ce pas encore le cas ?). Sur ce système américain où, contrairement au droit français, ce n’est pas aux autorités judiciaires à apporter la preuve de la culpabilité, mais au prévenu à prouver son innocence. Ce qui est inaccessible pour une frange de la population, incapable d’assumer les frais d’une telle preuve, et qui préfère plaider coupable même innocente, ce qui permet une transaction avec le procureur et l’espoir d’une peine moins lourde.