Camille

Auteur : Boris Lojkine est un ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie. Il a enseigné cette discipline à l’université d’Aix-en-Provence avant d’entreprendre la réalisation de documentaires inspirés par son séjour au Vietnam. Après des documentaires remarqués comme Les Âmes errantes en 2007, toujours sur le Vietnam, Lojkine s’intéresse à l’Afrique et réalise, en 2014 son premier long métrage de fiction, Hope, présenté à Cannes où il a obtenu le Grand prix de la Semaine critique ainsi que le Valois de la mise en scène au festival du film francophone d’Angoulême. Camille a obtenu le Prix du public au Festival international du film de Locarno 2019 et le Bayard d’or du meilleur scénario au Festival international du film de Namur.

Résumé : Jeune photojournaliste, téméraire et passionnée, Camille part en Centrafrique couvrir la guerre civile qui se prépare. Une coalition de groupes rebelles, majoritairement musulmans, la Séléka, a pris le pouvoir, terrorisant la population qui finit par se regrouper en milices, les anti balakas. Ils se livrent une guerre sanglante, sans merci, sur fond de manipulation de groupuscules politiques. Très vite, Camille se passionne pour ce pays dans lequel à 26 ans, elle perdra la vie.

Analyse : Il n’est pas étonnant que Boris Lojkine se soit intéressé à la courte vie de cette reporter photographe de guerre, amoureuse de l’Afrique, tant il est lui-même épris de ce continent dont il montre avec empathie et réalisme les souffrances des populations minées par la misère, déchirées par des haines ancestrales que la colonisation a souvent attisées. Dans son premier long métrage, le très beau, puissant et terrifiant Hope (voir ma fiche du 9 mars 2015) il suivait la route de candidats à l’émigration. Dans ce dernier film il montre le malheur des guerres civiles qui divisent les populations. Comme par une rage trop longtemps retenue et entretenue les conflits prennent une dimension inimaginable et incontrôlable. Ce fût le cas on s’en souvient de la tragédie du Rwanda par le génocide barbare des Tutsis ; ce fût le cas de la guerre civile, sous prétexte religieux, en Centrafrique. 

L’art de la mise en scène du réalisateur, précise et efficace nous donne l’impression d’être devant un documentaire. Pour être au plus près de la réalité il n’a pas hésité à tourner en grande partie en Centrafrique, dont la situation est loin d’être stabilisée, et à faire intervenir des acteurs, professionnels et non professionnels, et des équipes locales. Ce qui donne une grande force à ce film d’un réalisme poignant et d’une simplicité implacable. Pas de longueurs, un récit qui dit l’essentiel.

Dans son souci de vérité le réalisateur n’élude aucun problème. Il montre parfaitement combien il est difficile, quand on est blanc, de s’insérer dans la population et d’être totalement accepté. On se heurte toujours à un certain moment, à une barrière infranchissable faite d’Histoire, de souvenirs de domination parfois sanglante. Camille se voit reprocher les méfaits de la colonisation, car qu’elle le veuille ou non, elle est vue comme l’héritière de ceux qui sont passés avant elle en ne laissant pas que de bons souvenirs. Elle pourrait partir ou ne pas revenir ; mais elle est irrésistiblement attirée par ce pays en guerre, ce qu’elle paiera de sa vie. Elle veut porter aux yeux du monde ce qu‘il refuse de voir. Dans sa candeur et sa bonne volonté elle essaie de faire appel à la raison de ceux qu’elle accompagne, leur faisant valoir qu’ils ne peuvent reprocher au camp d’en face de faire ce qu’eux-mêmes leur font subir. Mais c’est une mission impossible. Qu’est-ce qui l’a poussée à prendre des risques insensés ? L’amour de ce peuple ? C’est une des questions qui restent sans réponse.

La réussite de ce film tient également au fait que le réalisateur insère des images d’archives datant de 2014, des photos, celles prises par Camille Lepage, d’un réalisme cru, où les corps morts des suppliciés montrent l’intensité de la violence d’un génocide qui ne porte pas le nom. Ce faisant il pose le problème de la distance que la photographe se doit d’établir entre elle et son sujet pour pouvoir continuer à photographier.

La force de ce film tient en grande partie à l’interprétation lumineuse de Nina Meurisse, tour à tour candide, fragile, courageuse, puissante, bouleversante toujours. Elle a d’ailleurs obtenu le Valois d’interprétation au Festival du film francophone d’Angoulême. Un film à voir absolument.

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