Auteur : Robert Guédiguian, né en 1953 à Marseille, est un réalisateur, producteur et scénariste français d’origine arménienne. Il fréquente assidument les salles de cinéma durant son enfance et son adolescence. C’est à travers Marseille, et particulièrement le quartier de l’Estaque, qu’il scrute l’histoire de ceux qu’il appelle, en référence à Victor Hugo, les « pauvres gens », ouvriers, salariés, petits patrons, chômeurs, déclassés. Il est au parti communiste de 1968 à 1977. Cinéaste indépendant et fidèle à son équipe d’acteurs de ses début, Ariane Ascaride, sa femme, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan, il est l’auteur de 21 longs métrages dont Marius et Jeannette, Le promeneur du Champ-de-Mars sur François Mitterrand, Lady Jane, L’armée du crime, Les neiges du Kilimandjaro ou La Villa. Ses films ont obtenu de très nombreuses récompenses nationales et internationales, sauf à Cannes, malgré cinq sélections officielles. Il a obtenu quatre grands prix pour l’ensemble de sa carrière dont le prix Henri Langlois (2008) et le prix René Char, décerné par l’Académie française (2014). Ariane Ascaride a obtenu le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise dans Gloria Mundi.
Résumé : À Marseille une famille de pauvres gens, aux prises avec des difficultés financières et des échecs, qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Seul le couple formé par la fille ainée Charlotte et son mari Bruno s’en sort avec beaucoup d’égoïsme, d’individualisme et en exploitant plus pauvres qu’eux. L’aide viendra de Daniel qui sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années, grand-père de la petite Gloria qui vient de naître.
Analyse : C’est un film très sombre que réalise Guédiguian dans cette dernière œuvre. Il nous avait habitué à la lumière de l’Estaque, de la Méditerranée, même si le propos a toujours été mélancolique, militant et engagé, dénonçant inlassablement les injustices de notre monde actuel. Mais ici il semble que le réalisateur courageux et indépendant ait un peu perdu espoir. Les travers, désespérants il faut bien l’avouer, de notre monde d’aujourd’hui, se retrouvent concentrés au sein d’une famille. La famille a toujours été, pour ce combattant, un lieu de solidarité et de protection de l’individu. Il en a d’ailleurs reproduit le modèle jusque dans son cinéma, avec ses acteurs fétiches, toujours présents dans ses films, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, auxquels il a agrégé récemment Anaïs Demoustier, Lola Neymark, Robinson Stévenin et Grégoire Leprince-Ringuet. Son dernier film commence par des images très émouvantes, la naissance de la petite Gloria (hommage à Vie du cinéaste arménien Artavazd Pelechian, 1933), longuement filmée dans sa première toilette, sur la musique de la Messa da Requiem de Verdi (quel paradoxe !). « C’est comme une ouverture sacrée, nous dit Guédiguian. Au-delà de ce que l’on voit et grâce à la musique, il se passe autre chose qui met en jeu l’humanité entière : la gloire du monde, à laquelle on a tous droit, même si elle ne peut pas durer plus que le temps d’une vie. Après, le film montre tout ce qui s’oppose à ça, à ce que ce bébé soit tranquille et ait une belle vie ». Effectivement, la magie ne dure pas longtemps. Cette famille se révèle éclatée et intègre tous les maux de notre monde actuel impitoyable et violent : la course à l’argent, l’individualisme forcené, le cynisme de ceux qui écrasent, la précarité de l’emploi par l’« ubérisation » qui anéanti progressivement les acquis sociaux obtenus par des siècles de luttes ouvrières, l’engrenage de la misère ; avec une Ariane Ascaride en grand-mère courage, qui s’épuise à essayer d’éviter les fractures et à porter tout ce monde à bout de bras. Ce qui est le plus désespérant c’est que l’égoïsme et l’agressivité viennent de gens qui habitent sous le même toit, et surtout qui sont issus du même milieu social, celui des exploités. Les plus antipathiques dans la famille, vénaux et vulgaires, sont le couple formé par Bruno et Aurore qui exploitent sans vergogne la misère des plus pauvres en leur rachetant les objets du quotidien pour quelques euros, et qui exploitent également ceux qui les réparent en ne leur donnant aucune couverture sociale. « L’apogée de la domination est atteint lorsque le discours des maîtres est tenu et soutenu par les esclaves ». Ce n’est d’ailleurs plus le Marseille lumineux de ses précédents films mais celui du port de la Joliette avec ses deux tours, celle de Zaha Hadid et de Jean Nouvel, symboles d’un capitalisme triomphant, occupées par des entreprises florissantes, au pied desquelles s’étale la misère, celui du quartier du côté de Plombières, et du nouveau quartier d’Euroméditerranée, univers glaçant d’inhumanité. La spirale de l’échec et de la misère s’enclenche dans cette famille. Le constat amer de l’ultralibéralisme et l’écrasement des plus pauvres n’est pas sans rappeler Ken Loach (voir la fiche sous son dernier film Sorry We missed you du 29 octobre dernier). On peut toutefois regretter chez Guédiguian un trait un peu forcé qui frise parfois la caricature. Il reste toutefois un film nécessaire, qui n’est pas pesant mais qui donne à réfléchir, avec les comédiens habituels, justes de ton et toujours aussi attachants, avec un beau personnage qui apporte une petite lumière, celui de Daniel (Gérard Meylan), le grand-père de Gloria, qui revient après une longue peine de prison, une force tranquille et bienveillante qui compose des haïkus, brefs poèmes du quotidien.