Auteur : Sam Mendes est un réalisateur britannique né en 1965. Il se lance d’abord dans une carrière au théâtre. Il connaît rapidement le succès grâce à ses adaptations très novatrices. Il se fait alors remarquer et engager en 1992 par la Royal Shakespeare Company. Il devient ensuite directeur du Donmar Warehouse Theater où il continue d’adapter les plus grands, de Shakespeare à Tennessee Williams. Ses productions ne se limitent plus à l’Angleterre. Il met en scène quelques pièces à Broadway comme The Blue Room dans laquelle il dirige Nicole Kidman. Son adaptation de Cabaret lui vaut de multiples récompenses et l’attention de Steven Spielberg : le réalisateur voit en lui un futur grand cinéaste et lui propose le scénario du caustique American Beauty. Ce premier film (1999) lui procure une notoriété immédiate, récompensé par cinq Oscars et remporte un énorme succès commercial. Inclassable, Sam Mendes a réalisé des films noirs (Les sentiers de la perdition, 2002), des films de guerre (Jarhead : la fin de l’innocence, 2005), des drames familiaux (American Beauty et Les noces rebelles, 2008) et, récemment les deux derniers films de la série des James Bond, Skyfall(2012) et Spectre (2015). 1917 a remporté deux prix aux Golden Globes, meilleur film, meilleur réalisateur.
Résumé : 1917, en pleine bataille des Flandres. Les Allemands ont opéré une retraite surprise derrière la ligne Hidenburg. Deux soldats, Schofield et Blake, se voient assigner par leur général une mission à proprement parler impossible à réaliser : il s’agit de porter le plus vite possible un message à un bataillon allié, situé à 14 km, pour annuler l’ordre d’attaque, le retrait des Allemands étant un piège. Il en va de la vie de 1600 hommes, dont le propre frère de l’un d’eux. Ils se lancent dans une course contre la montre entre les lignes ennemies.
Analyse : Toutes les critiques ont salué la prouesse technique de ce film. Une mise en scène brillante, précise et puissante, des moyens techniques époustouflants, un seul vrai-faux plan séquence de plus de deux heures (faux car il utilise certains artifices comme les fumées des explosions, les coins d’ombre des tranchées ou un écran noir pour cacher les raccords, mais vrai du point de vue du spectateur, car nous ne quittons pas des yeux les deux soldats au cours de leur dangereux périple). Ce moyen est rarement utilisé au cinéma parce que difficile et périlleux. On a quelques exemples dans l’histoire du cinéma, notamment Hitchcock qui s’y est essayé dans La Corde en 1948 ; Alejandro Iñárritu dans Birdman, et le film dramatique allemand Victoria, coécrit et réalisé par Sebastian Schipper, qui a remporté l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique lors de la Berlinale, en 2015. Moyen périlleux qui risque de faire passer la virtuosité de la technique avant le scénario et l’émotion. Sam Mendès a parfaitement réussi son pari. Par ce procédé il nous immerge totalement dans cet univers dantesque dont on sentirait presque l’odeur, nous faisant partager avec les deux protagonistes l’enfer des tranchées, la faim, le froid, la boue, la fatigue, la peur, les nombreux cadavres gonflés, infestés de rats, jonchant leur parcours. Grâce au talent légendaire du génial chef opérateur Roger Deakins la caméra suit nos deux personnages, passe derrière, devant, les contourne, à hauteur d’homme, nous impliquant totalement dans cette aventure humaine désespérante. Ce n’est certes pas le premier film sur la première guerre mondiale. Il y en a au total une douzaine depuis 1918, de Charlot soldat de Chaplin (1918) à Au revoir là-haut d’Albert Dupontel, en passant par Les Chemins de la gloire d’Howard Hawkes ou Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, mais le propos de Sam Mendès est différent. Aucune scène de bataille, seulement des tirs de soldats ennemis isolés, un film plutôt intimiste, d’une grande justesse, qui manifeste sa volonté de montrer la guerre autrement et d’en dégager toute son horreur et son absurdité, comme est absurde et kamikaze la mission confiée aux deux soldats. Qu’ils la réussissent tient d’ailleurs de l’invraisemblance. Et c’est le bémol que je mettrais à ce film. Le réalisateur s’est montré plus soucieux de recherches formelles que de réalisme. La scène de la quasi noyade du héros dans un torrent furieux me parait de trop et inutile, d’autant qu’ayant été immergé et chahuté par les flots pendant de longs moments, ayant perdu tout son barda, il ressort intacte de ses poches la lettre pour le commandant qui doit recevoir l’ordre de stopper l’offensive, et des photos absolument impeccables, sans que la moindre tache d’humidité vienne ternir leur aspect !
Il reste que dans ce suspens palpitant, cette tension insoutenable, Sam Mendes a eu l’habileté de ménager le spectateur en coupant cette course haletante par des moments d’apaisement, de calme, de dialogue, de tendresse. Un film spectaculaire, impressionnant de virtuosité, remarquablement porté par le jeu des deux acteurs principaux, George MacKay (Schofield) et Dean-Charles Chapman (Blake), mais qui manque peut-être d’un peu d’émotion.