Auteur : Alla Kovgan, née en 1973 à Moscou, est une réalisatrice, monteuse, productrice, russe installée aux États-Unis. Cunningham est son premier long métrage. Elle a réalisé quatre autres courts métrages et documentaires, Movement (R)evolution Africa en 2007, Nora et Traces of the Trade : A Story from the Deep North en 2008, New London Calling en 2010 et Devil’s Lungs en 2018.
Merce Cunningham est considéré comme le précurseur de l’avant-garde en matière de danse contemporaine. Après des études de lettres et de théâtre, il est entré au Cornish Institute of Applied Arts, à Seattle, où il a rencontré John Cage, professeur, qui sera son compagnon et collaborateur. Après un passage comme danseur dans la compagnie de Martha Graham, il commence ses propres chorégraphies en totale rupture avec l’expressionnisme de Graham, inspiré par le livre chinois des « mutations », (le Yi-King), auxquelles il associe le peintre Robert Rauschenberg. En 1953 il crée sa propre compagnie avec laquelle il bouscule les habitudes : pas d’argument, pas de rapport à la musique. La reconnaissance publique et critique viendra plus tard, en particulier en France, où Merce Cunningham aura une influence importante sur ce qu’on a appelé la « jeune danse française » (années 1970-1980). Merce Cunningham s’est montré précurseur dans l’utilisation des nouvelles technologies : possibilités offertes à la danse par le film, la vidéo et les programmes informatiques pour construire la chorégraphie, reproduction du mouvement par des capteurs lumineux posés sur les corps des danseurs.
Résumé : Quarante ans de l’œuvre chorégraphique de Merce Cunningham (1919-2009) des années 40 aux années 80.
Analyse : Superbe documentaire qui nous offre quarante ans de l’œuvre de ce danseur et chorégraphe fascinant que fut Merce Cunningham. A travers 14 de ses principales chorégraphies sur les quelques 180 qu’il a créées, Alla Kovgan rend un magnifique hommage à celui que l’on considère comme le père de la danse contemporaine, avec des archives inédites où l’on voit le créateur tel un faune souple et puissant, ses collaborations notamment avec le musicien John Cage, qui fut son compagnon, le plasticien Robert Rauschenberg et la pléiade d’artistes majeurs des années 50 comme Warhol ou Pollock. Prenant le même parti que Win Wenders dans son travail en 3D sur la chorégraphe Pina Bausch, la réalisatrice va au-delà. Les chorégraphies présentées sont replacées dans un décor délibérément moderne, sur le toit d’un gratte-ciel, filmées en plongée depuis un hélicoptère, dans une clairière ou dans les bois, dans les couloirs du métro ou sur une passerelle en verre. Ce qui nous fait entrer dans la danse, comme l’aurait souhaité le maître, qui a inventé une nouvelle manière d’envisager cet art, en le rendant indépendant de la musique, en laissant le mouvement parler de lui-même, sans le charger d’une histoire à raconter ou d’un sentiment à exprimer. « Tout ce qui est vu trouve sa signification à l’instant même. Le sujet de la danse, c’est la danse elle-même ». « Je ne parle pas de ma danse, je la danse ».
Ce film m’a replongée dans cet univers magique vu cet été à Montpellier danse qui rendait un hommage au chorégraphe pour l’anniversaire des 100 ans de sa naissance. En particulier Summerspace (1958) dans les décors et les costumes pointillistes conçus par Robert Rauschenberg, qui sont d’une beauté stupéfiante en donnant l’illusion que les danseurs se fondent dans ce décor (voir Montpellier danse du 27 juin dernier). Mouvement des corps qui met en lumière la fluidité, la légèreté et la grâce des gestes des danseurs.
Ce film nous montre également le processus de création d’un artiste qui ne fut pas compris tout de suite dans son pays, qui connut la pauvreté, le rejet du public, mais qui persévéra avec opiniâtreté et abnégation, sûr de son talent trop tôt contemporain, avec une tranquillité acquise par sa passion de la pensée chinoise ou japonaise. Des films d’époque, des vignettes et des notes, brouillons et dessins, sont insérés dans le film qui nous plonge au sein du processus créatif de ce danseur. En immergeant le spectateur dans une série de gros plans, dans un tourbillon d’images, la réalisatrice le plonge au cœur même de cet art qui est mouvement et éblouissante beauté.