Adam

Auteur : Maryam Touzani, née en 1980, est actrice, scénariste et réalisatrice marocaine Elle est dans un premier temps journaliste, spécialisée dans le cinéma. Puis elle devient scénariste et réalisatrice de courts métrages et de documentaires. En 2011, son court-métrage Quand ils dorment, est sa première réalisation cinématographique. En 2014, elle réalise un documentaire, Sous Ma Vieille Peau / Much Loved, consacré à la prostitution au Maroc. Ce documentaire donne lieu au film Much Loved, sorti en 2015 et réalisé par Nabil Ayouch, son époux, pour lequel elle participe au scénario. Elle réalise ensuite son second court-métrage en 2015, Aya va à la plage, sur le thème de l’exploitation des jeunes enfants comme domestiques. Elle est pour la première fois actrice dans le film Razzia, sorti en 2017, qu’elle co-écrit avec Nabil Ayouch dans lequel elle interprète Salima, l’un des rôles principaux. En 2019, elle réalise son premier long métrage, Adam, présenté au festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, et au 12e festival du film francophone d’Angoulême.

Résumé : Dans la Médina de Casablanca, Abla, veuve et mère d’une fillette de 8 ans, tient un magasin de pâtisseries marocaines. Quand Samia, une jeune femme enceinte frappe à sa porte, Abla est loin d’imaginer que sa vie changera à jamais. Une rencontre fortuite du destin, deux femmes qui ne trouvent pas leur place dans la société marocaine.

Analyse : Un film bouleversant sur un sujet dramatique, l’enfer des mères célibataires dans la société marocaine, traité avec subtilité, finesse, pudeur, sensualité, par petites touches qui nous permettent d’assister à la transformation progressive de deux femmes au contact l’une de l’autre, à la naissance de leur connivence, de leur complicité. Un film de femmes, épuré et sensible, sur des problèmes de femmes, réalisé par une femme qui y a apporté sa connaissance de l’univers féminin, sa sensibilité de femme et son regard de femme, au sens du female gaze (voir Iris Brey, Le regard féminin, Une révolution à l’écran). L’essentiel du film est dans le huit clos de cet appartement de la médina de Casablanca, où la parole est réduite au minimum mais où tout passe par le regard de ces deux actrices exceptionnelles, Lubna Azabal (Abla) la veuve sèche et revêche et Nisrin Erradi (Samia) la jeune, sensuelle et plantureuse. Progressivement, imperceptiblement leur relation, leurs sentiments évoluent ; par petits gestes, en s’observant l’une l’autre, elles s’apprivoisent dans des moments d’une rare intensité émotionnelle. On les voit naitre l’une à l’autre, et la musique, la joie, les sourires reviennent dans cette maison où l’austérité et la tristesse dominaient avant que de devenir ce gynécée chaleureux autour du partage des joies simples de la vie, la cuisine qui, nous dit la réalisatrice, « est l’une des rares choses que contrôlent les femmes marocaines ». La veuve inconsolable renait aux joies de la vie et à la sensualité, la jeune femme enceinte abandonnée retrouve son sourire et l’espièglerie de sa jeunesse. Moments de grande émotion à la fin du film. Après l’accouchement Samia ne veut pas voir son bébé car elle veut le faire adopter pour lui assurer un autre avenir que celui d’être un paria dans la société marocaine parce que l’enfant du péché, mais Abla, avec une profonde humanité, le place constamment auprès d’elle, faisant éclore cet amour maternel qu’elle refusait.  

A-t-on déjà filmé avec autant de sensibilité, d’émotion, de justesse, l’amour pour son nouveau-né d’une mère qui découvre et embrasse délicatement ses petits pieds, ses petites mains ? Qui d’autre qu’une femme pouvait transmettre une telle émotion ? 

La réalisatrice a su prendre son temps pour nous faire assister à la lente éclosion des sentiments et des émotions, ce qui rend son film très attachant. Elle réalise une œuvre militante car elle proteste, avec simplicité et efficacité, contre le sort réservé aux femmes dans la société marocaine. Avec toutefois une note d’espoir dans le personnage de Warda, la petite fille de 8 ans, charmante et malicieuse qui a fait le lien entre les deux femmes et qui incarne l’espoir dans un avenir meilleur.  

Empreint d’une merveilleuse sororité, Adam est un très beau film, délicat, charnel, émouvant, que l’on n’oublie pas facilement. 

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