Auteur : Amjad ABU AL ALA est un réalisateur, scénariste et producteur. Né aux Émirats Arabes Unis, il grandit à Dubaï où il fait des études de communication. Il produit et réalise plusieurs courts métrages sélectionnés dans divers festivals internationaux, dont Café et Orange (2004), Les Plumes des oiseaux (2005), considéré comme le retour du cinéma soudanais après une interruption de dix ans, Sur le trottoir de l’âme et Tina (2009). Studio (2012) a été supervisé par le réalisateur iranien Abbas Kiarostami. Tu mourras à 30 ans, son premier long métrage fiction, a remporté le Prix de la Meilleure Première œuvre (Lion du Futur) à la Mostra de Venise 2019 et le prix FIPRESCI à Carthage.
Résumé : Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Muzamil, selon une cérémonie traditionnelle, sa mère le présente à l’imam qui par la voie d’un griot lui prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père de l’enfant s’enfuit. Sakina élève alors seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Muzamil doit vivre avec sa mort programmée.
Analyse : Le cinéma soudanais a été très peu distribué depuis que le dictateur Omar El Béchir a fait peser une chape de plomb sur cet art. Un documentaire récent Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari paru récemment (voir ma fiche du 30 décembre 2019) nous montre sa possible renaissance. Tu mourras à 20 ans y participe. C’est un film d’un courage inouï qui ose braver le conformisme ambiant et le rôle des imams. Après cette prédiction funeste sa mère, aimante et attentionnée, prend le deuil et compte les jours avant la mort de son fils. Son père, avec un courage que l’on peut apprécier, s’en va laissant sa femme et son fils seuls. Quant à Muzamil, sa vie est totalement conditionnée par cette malheureuse annonce. Il n’est plus scolarisé et seule l’écriture et la lecture du Coran lui servent d’école. Ses camarades le rejettent car il est pour eux un mort vivant, jusqu’à la femme qu’il aime qui lui préfère un autre prétendant, persuadée qu’il vit ses derniers mois.
L’audace de ce film, d’une mise en scène élégante, sobre et raffinée, tient en la dénonciation subtile d’une société pratiquant des rituels animistes, embrigadée dans des croyances traditionnelles absurdes qui étouffent tout esprit critique et toute liberté. Dénonciation qui n’est pas frontale mais qui instille subtilement des propos transgressifs, comme ce désir homosexuel suggéré de l’imam devant le torse nu de Muzamil, ou le rapport sexuel de ce dernier avec une femme de l’âge de sa mère. Dénonciation qui s’incarne dans un personnage marginal, Sulaiman, haut en couleur, sorte de père spirituel de Muzamil, d’une liberté d’esprit inconcevable dans ces sociétés, qui boit, vit sans être marié auprès d’une femme d’une belle sensualité, et surtout qui, ancien caméraman, a gardé une série de films qu’il projette sur un drap blanc, faisant l’éducation sentimentale et artistique de ce jeune condamné à mourir trop tôt. Ce dernier ouvre son regard sur le monde, au-delà des frontières étriquées de son village et fait donc l’expérience de la liberté. Le réalisateur veut dire à qui veut l’entendre que la liberté passe par l’art, par le cinéma, véritable arme contre l’embrigadement des consciences.
C’est donc aussi le film d’une émancipation du jeune Muzamil aux yeux noirs profonds et pathétiques parfois. Il veut échapper à son destin mais la force de son destin le plonge dans une solitude qui parait inconsolable. Jusqu’à ce dernier plan qui symbolise sa fuite vers une autre vie libérée de ce destin funeste. Y arrivera-t-il ?
Ce film, accompagné d’une bande sonore arabisante, en accord parfait avec l’atmosphère du film, composée par Amine Bouhata (Tumbuktu), est d’une grande beauté formelle avec de magnifiques images composant de véritables tableaux de cette nature désertique aux couleurs chaleureuses. Une révélation qui prouve que le cinéma africain a de beaux jours devant lui.