Auteur : Alain Resnais (1922-2014) est un réalisateur, scénariste, monteur français. A la fin des années 40 il commence à réaliser des courts et moyens métrages comme Van Gogh, Guernica et surtout Nuit et Brouillard, premier film de référence sur les camps de concentration. Après Hiroshima mon amour (1959) et L’Année dernière à Marienbad (1961), il est considéré comme l’un des grands représentants du Nouveau cinéma, un des pères de la modernité du cinéma européen, avec Rossellini, Bergman et Antonioni. Tout au long de son œuvre, se retrouve un grand nombre de thèmes tels que des sujets historiques, la mémoire, l’engagement politique, l’intimité, le rêve, le conditionnement socio-culturel, la mort, l’art. Il est auteur de très nombreux courts et moyens métrages et d’une vingtaine de longs métrages. Réalisateur célébré par la profession, il a été plusieurs fois récompensé aux Césars et dans de nombreux festivals internationaux. Hiroshima mon amour a obtenu le Prix FIPRESCI au festival de Cannes 1959 et a été restauré, repris et diffusé à Cannes classique en 2013.
Résumé : Hiroshima, été 1957. Venue tourner un film sur la paix, une jeune actrice française, à la veille de son retour chez elle, vit une aventure avec un architecte japonais. Ils font l’amour, discutent, se confient. Il lui parle de sa vie. Elle lui parle de son adolescence à Nevers pendant la seconde guerre mondiale, de son amour pour un soldat allemand et du drame de son existence.
Analyse : Hiroshima mon amour a été le premier long métrage d’Alain Resnais réalisé à l’âge de 37 ans. Parti d’un projet de documentaire sur la tragédie du 6 août 1945, et devant la difficulté de la tâche, il a préféré réaliser un film de fiction avec la collaboration de Marguerite Duras, fleuron de la nouvelle littérature française, qui écrira le scénario dont elle tirera un livre un an plus tard. L’écrivaine y a apporté son phrasé inimitable, son langage sublime, poétique et musical, son style vif, ressassant, sa parole incantatoire. De cette collaboration est né un film très novateur qui n’a jamais eu de précédent dans l’histoire du cinéma. Le film débute sur l’image de deux corps nus enlacés, couverts de cendres, comme pétrifiés par la pluie atomique qui rappelle les photos des suppliciés de la bombe. Une scène d’amour très pudique d’où émergent dans la pénombre un dos d’homme caressé par les mains d’une femme, des bras qui enlacent, l’aperçu furtif d’un visage, images quasi abstraites. Pendant le premier quart d’heure, la femme raconte comment elle a vécu Hiroshima, où elle est allée, ce qu’elle a vu, les souvenirs de la ville. Les images d’archives se mêlent aux images de fiction tandis que son amant déclame à plusieurs reprises « Non, tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien ». Répétition qui veut dire l’indicible, le faible pouvoir des mots face à cette horreur incommensurable. Le réalisateur dénonce l’inanité du travail de mémoire fait par la société japonaise pour aider les « touristes » à se souvenir alors qu’ils n’ont « rien vu », organisant des « Atomic tour » ou des baraques à « souvenirs ». Mais la mémoire est nécessaire à l’oubli, comme la parole, dire pour ne pas mourir. Oubli qui est la condition nécessaire du bonheur pour se libérer du passé et avancer, comme le suggère Nietzsche. « Tu me tues Tu me fais du bien », tu me libères de mon passé douloureux. Dans ce contexte de ville sacrifiée, la jeune femme raconte, pour la première fois, à son amant japonais, son amour fou de 18 ans, à Nevers, pour un soldat allemand pendant la guerre, sa mort qu’elle a accompagnée, la haine déchainée d’une foule qui la tond, la honte de ses parents qui l’enferment des mois durant dans une cave. Pour la première fois elle se libère de ce douloureux traumatisme, « tu me tues tu me fais du bien ».
Douleur universelle de la guerre où l’histoire individuelle se fond dans l’Histoire, dans le drame collectif. Resnais brouille le temps, le passé et le présent, les lieux, les images de Nevers autrefois se superposant à celles d’Hiroshima aujourd’hui. Les paroles ne s’accrochent à aucune réalité. Le texte de Marguerite Duras, musical et poétique échappe à la tradition du dialogue. Ce qui fait toute la magie du film.
On ne saurait terminer cette étude, nécessairement peu exhaustive, sans dire que c’est également un magnifique film sur l’amour. Un amour coupable, vibrant, incandescent, absolu, que ces deux amants, la si belle Emmanuelle Riva et le séduisant Eiji Okada dont on ne saura jamais les prénoms, vivent d’autant plus pleinement qu’il n’y aura pas de lendemain. L’amour comme une brûlure, celle de l’histoire d’une ville, celle de la jeunesse d’une fille de 18 ans. Film-poème, film-cantate, éblouissant, bouleversant, inoubliable.
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