Canción sin nombre

Autrice Melina León est une monteuse, productrice et réalisatrice péruvienne. De nationalité péruvienne, elle vit entre Lima et New York. Diplômée en cinéma à l’Université de Columbia, elle réalise deux courts métrages, Girl with a Walkman (2007) et El Paraíso de Lili (2009) projeté au New-York Film Festival et qui a remporté 11 prix, dont celui du meilleur film latino au Festival de São Paulo. Canción sin nombre a été sélectionné à la Quinzaine à Cannes (2019) et a remporté le prix spécial du jury de Biarritz. Il vient d’obtenir le prix du Jury œcuménique du Festival international du film Molodist de Kiev.

Interprètes : Pamela Mendoza (Georgina) ; Tommy Pàrraga (le journaliste) ; Lucio A. Rojas (le mari).

Résumé : Pérou, dans les années 1980. Georgina attend son premier bébé. Sans ressources, elle répond à l’annonce d’une clinique qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Déterminée à retrouver sa fille, elle sollicite l’aide du journaliste Pedro Campos qui accepte de mener l’enquête. 

Analyse : Dans un somptueux noir et blanc granuleux avec des gris ton sur ton brumeux, un format 4/3 télévisuel, Melina Leon réalise un premier film d’une très grande beauté. Son propos est désespérant. Pendant les années 80 dans un Pérou en proie à une guerre civile, entre les groupements maoïstes du Sentier Lumineux, les socialistes du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru et les forces militaires du gouvernement péruvien, un véritable scandale d’État éclate. Avec la complicité de certains magistrats et des forces politiques dominantes, des bébés sont enlevés et vendus à l’adoption internationale ou à des potentats du régime. Phénomène qui malheureusement s’est produit dans plusieurs pays d’Amérique latine, comme l’Argentine ou le Chili pendant les dictatures. La réalisatrice est partie d’un récit que lui faisait son père, Ismael León, qui travaillait au prestigieux journal La República, et avait enquêté et révélé ce scandale.  Rôle repris dans le film par le journaliste qui aide Georgina dans sa quête. Dans un pamphlet politique, poétique et émouvant elle suit le calvaire de Georgina (extraordinaire Pamela Mendoza), une femme quechua, d’une grande pauvreté, qui se fait voler son premier bébé dans une maternité fantôme. On la suit tout au long du film dans ses recherches désespérées, son immense douleur contenue ou ses cris douloureux, ses plaintes à la police sans lendemain. Cette frange de la population, marginalisée, dépossédée de ses droits, n’a même pas un numéro d’identification que lui réclament constamment les policiers du commissariat. Par des images très graphiques, magnifiquement travaillées (trop léchées diront certains, mais le cinéma n’est-il pas image ?) conçues par le chef opérateur Inti Briones (découvert par Raoul Ruiz), la réalisatrice nous donne l’impression de traverser un long hiver avec un petit peuple muselé, coincé dans une vie de terreur et de misère. De larges plans sublimes, des cadrages serrés sur les visages et leur malheur confèrent à ce film une rare beauté formelle. Avec la lenteur d’un effort surhumain Georgina, dans une quête sans fin, grimpe grimpe, que ce soit les escaliers en colimaçon de la « clinique », les marches imposantes d’un tribunal à l’architecture écrasante, ou la colline qui la mène avec son mari à sa masure, silhouettes courbées sous le poids de la vie, théâtre d’ombres pathétique. Dans une magnifique scène finale Georgina chante une berceuse à son enfant sans nom, une Canción sin nombre.

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