Autrice : Caroline Vignal est une scénariste, réalisatrice et actrice française. Diplômée de la Fémis (département « Scénario », promotion 1997) elle réalise en 1998 et 1999 deux courts métrages (Solène change de tête et Roule ma poule). Son premier long métrage, Les Autres Filles (2000) a été sélectionné à la Semaine de la critique et accueilli chaleureusement par la critique. Après un silence de vingt ans elle réalise Antoinette dans les Cévennes, sélection officielle à Cannes 2020.
Interprètes : Laure Calamy (Antoinette) ; Benjamin Lavernhe (Vladimir , l’amant) ; Olivia Côte (Éléonore, la femme).
Résumé : Depuis des mois Antoinette attend l’été et la promesse d’une semaine en amoureux avec son amant, Vladimir. Quand celui-ci annule leurs vacances pour partir marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille, Antoinette ne réfléchit pas longtemps : elle improvise elle aussi la randonnée, avec en tête l’idée de croiser son amoureux, qu’elle n’a bien entendu pas prévenu. Accompagnée d’un âne, ce n’est pas le voyage qu’on imagine qu’elle va faire.
Analyse : Ce film a été sélectionné à Cannes 2020 et n’a malheureusement pas eu l’honneur de la montée des marches cette année. C’est un film très attachant et très réjouissant dans lequel Caroline Vignal fait malicieusement référence au fameux « Voyage avec un âne dans les Cévennes » de R.L. Stevenson dans lequel l’écrivain écossais, en 1878, a parcouru deux cents kilomètres en compagnie de l’ânesse Modestine, pour oublier sa bienaimée Fanny Osbourne. Ça commence comme un banal vaudeville, le fameux ménage à trois, le mari, la femme, la maîtresse. Mais en réalité c’est un faux vaudeville, comme sont un faux suspens ces retrouvailles improbables dans l’immensité des Cévennes entre Antoinette et son amant. Ces faux semblants sont balayés par une conversation finement menée et définitive entre Antoinette et Éléonore, la femme de son amant. Le propos de la réalisatrice n’est pas là. Elle nous donne en réalité un magnifique portrait de femme, impulsive, enthousiaste, qui loin d’être dépendante d’un amour, est un esprit libre, en quête de bonheur et d’elle-même. Caroline Vignal a eu une intuition particulièrement heureuse en choisissant Laure Calamy pour incarner Antoinette, dont c’est le premier grand rôle. Elle est pétillante, charmante, primesautière, radieuse, énergique, drôle presque malgré elle. Elle déploie avec justesse et toujours beaucoup d’enthousiasme et de sensibilité une gamme de jeu qui va du bonheur, à l’émotion, à la tristesse, à la sidération, à la joie retrouvée. Elle s’aperçoit rapidement qu’elle mérite mieux que son amant, menteur patenté, indécis, falot. Elle va alors reprendre en main son destin et ce voyage, accompagnée de Patrick, un âne récalcitrant mais qui devient au fil des étapes son meilleur confident, est un voyage initiatique qui l’amènera à reconsidérer son existence, à faire le ménage dans sa vie et à vivre totalement sa liberté et sa sensualité.
Le film porte également un regard sur la vision qu’ont les deux sexes sur cette randonneuse seule à la recherche de son amant marié. Briseuse de couple pour certaines, un cœur à prendre pour certains, une pauvre fille paumée pour d’autres. Caroline Vignal a fait le chemin de Stevenson (GR 70) et donne une vision juste de ce milieu des randonneurs où l’on se tutoie d’emblée et où chacun se sent obligé de déballer sa vie.
Avec de somptueuses images des Cévennes, la réalisatrice nous donne un bol d’air rafraichissant en ces temps troublés. Un film aux accents parfois rohmériens (un clin d’œil au film Rayon vert (1986) d’Éric Rohmer, dont l’héroïne, Marie Rivière joue le rôle de la randonneuse curieuse qui avec gentillesse interroge Antoinette sur sa vie), cocasse, intelligent, drôle et sensible.