Auteur : Cinéaste de Corée du Sud, Hong Sang-soo, né en 1960, a réalisé pas moins de 25 films depuis 1996, soit presque un film par an. Ce réalisateur prolixe a fait des études aux États-Unis et en France. Il est un habitué des prix, que ce soit à Cannes où il obtient le Prix Un certain Regard pour Ha Ha Ha en 2010, ou à Locarno où il obtient le Prix de la mise en scène en 2013 pour Sunhi, et le Léopard d’or en 2015 pour Un jour avec, un jour sans. Il n’a pas moins de 70 nominations dans les festivals européens. Ses thèmes de prédilection sont les relations de couple conflictuelles, le malaise existentiel des jeunes Coréens, l’alcool, le sexe, le plus souvent incarnés dans des réalisateurs et leurs diverses rencontres avec des jeunes. Son précèdent film, Hotel by the river (voir la fiche du 8 août 2020) a obtenu le prix d’interprétation masculine à Locarno 2018 pour Kwon Hae-Hyo. Pour La Femme qui s’est enfuie (2020), il a obtenu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur à la Berlinale 2020.
Interprètes : Kim Min-Hee (Gam-Hee); Seo Young-hwa (Young-soon); Seabyuk Kim (WOO-jin; Song Seon-mi (Su-young); Kwon Hae-hyo (l’écrivain).
Résumé : Pendant que son mari est en voyage d’affaires, Gam-hee rend visite à trois de ses anciennes amies. A trois reprises, un homme surgit de manière inattendue et interrompt le fil tranquille de leurs conversations….
Analyse : Dans ce 25ème film de Hong Sang-soo il ne se passe apparemment rien. Des conversations banales à table sur les mérites de la viande grillée, sur le paysage, l’importance des animaux, des conseils de santé, des confidences sur les déboires amoureux et les désillusions, au cours desquelles on mange bien et beaucoup. Pourtant c’est un film très attachant qui dégage une sérénité, une douceur dans laquelle on se laisse facilement glisser. Au fil de ces conversations du quotidien se dévoilent des femmes qui portent les blessures de leur vie essentiellement dues à leur rapport difficile aux hommes. Des hommes singulièrement absents qui apparaissent à trois reprises dans le film, minables, ridicules, fatigants, perturbateurs et filmés de dos ou de trois quarts (seraient-ils métaphorisés par un coq insupportable qui pique le cou des poules ?). Il se dégage des rencontres entre Gam-hee et ses trois amies une sororité bienveillante et complice. Ses amies se racontent facilement mais elle, ne dit pas grand-chose. Elle répète seulement par trois fois que c’est la première fois depuis cinq ans qu’elle est séparée de son mari qui estime que « les amoureux ne doivent jamais être loin l’un de l’autre ». Bien que déclamée avec douceur on a l’impression que cette possessivité n’est pas tout à fait à son goût et à trop répéter son propos on finit par douter de sa sincérité. Vient alors à l’esprit une question : qui est la femme qui s’est enfuie ? la voisine dont parle rapidement une de ses amies, comme un ragot, qui a abandonné mari et fille et que l’on ne voit jamais, ou Gam-hee ? ou bien toutes ses amies qui fuient leur échec sentimental ? « Peut-être que j’avais tout simplement le sentiment que tous les personnages féminins fuient quelque chose, quelque chose d’oppressant et de malfaisant » nous dit le cinéaste. Dans cette valse à trois temps, trois amies, trois conversations sur l’intimité des femmes, trois hommes, le réalisateur laisse la question ouverte. La fuite vers un ailleurs est un thème souvent abordé par le cinéaste, que ce soit dans In Another Country (2012), dans Haewon et les hommes (2013) ou dans Seule sur la plage la nuit (2017). Gam-hee fuirait-elle une relation trop terne ? Ce n’est qu’en toute fin de film qu’on perçoit ses blessures, elle qui jusqu’à présent avait l’air lisse et bien dans son couple. Sa troisième amie a épousé un écrivain qu’elle a autrefois aimé. Dans le café Emu du centre culturel dont son amie a la charge et où elle est venue voir un film, elle tombe sur cet écrivain et l’on comprend qu’elle ne s’est peut-être pas remise de leur séparation. Après un échange peu aimable, Gam-hee s’en va mais se ravise et revient voir le film qui présente à l’écran le flux et le reflux des vagues sur le sable, (des images tirées de la dernière scène du film Woman on the Beach, 2008), comme pour calmer ses émotions.
Un film tout en douceur, en mélancolie indéfinissable, qui tire sa grâce et sa beauté d’une forme d’épure d’une grande sobriété.
Magnifique analyse MJ Campana qui retrace en quelques lignes la sobriété et la pureté de ce film, c’est comme si je l’avais vu. Bravo!