Auteur : né en 1937, Andreï Mikhalkov-Konchalovsky est un réalisateur, scénariste, compositeur russe. Issu d’une famille d’artistes et de parents écrivains, il se destine d’abord à la musique avant d’intégrer la célèbre école cinématographique VGIK où il se lie avec Andreï Tarkovski avec lequel il coécrit plusieurs scénarios, notamment L’Enfance d’Ivan (1962), ou sur le peintre Andreï Roublev (1969). Il abandonne le nom Mikhalkov pour se différencier de son frère cadet Nikita Mikhalkov également cinéaste. Il signe un long métrage en 1965, Le Premier maître, prix d’interprétation à Venise. Son deuxième film, Le Bonheur d’Assia qui présente une vision nuancée des kolkhozes, n’échappe pas à la censure en 1969. Il renoue avec le succès en 1978 avec Sibériade (Grand Prix du Jury Cannes), histoire de l’évolution de la Sibérie, tout au long du XXème siècle, qui lui vaut un retour en grâce. Il émigre alors aux États-Unis où il s’essaye à des genres variés, passant du drame, Maria’s Lovers en 1984, à la série B, Tango & Cash, en passant par le film d’action, À bout de course (1985). Il revient dans son pays natal à la fin de la guerre froide avec des films sur la Russie contemporaine mais financés grâce à des coproductions, notamment Le Cercle des intimes (1989), La Maison de fous (2002) Grand prix du jury à la Mostra de Venise. Il obtient ensuite le Lion d’argent du meilleur réalisateur pour Les nuits blanches du facteur (2014) et pour Paradis (2016).
Interprètes : Alberto Testone (Michel-Ange), Jacob Diehl (Peppe), Francesco Gaudiello (Pietro), Federico Vann (Sansovino), Glenn Blackhal (Raphaël)
Résumé : Michel-Ange à travers les moments d’angoisse et d’extase de son génie créatif, tandis que deux familles nobles rivales se disputent sa compétence et sa loyauté.
Analyse : C’est un film monumental, à la mesure du génie du grand Maître, qui nous retrace une tranche de vie d’un Michel-Ange qui tel un poète russe maudit, tourmenté, aux franges de la folie, balloté entre des familles rivales, est prêt à toutes les compromissions, toutes les trahisons pour travailler, sculpter, sculpter et sculpter encore. L’action se passe entre les années 1512 et 1520. Entre le moment où Michel-Ange qui travaille sur le tombeau du pape Jules II de la famille Della Rovere, doit lui présenter les travaux de la chapelle Sixtine que le souverain pontife trouve sublime, la mort de ce dernier et l’élection de Léon X, de la famille rivale des Médicis, qui le paye pour créer la façade de la basilique San Lorenzo à Florence. Avec le talent qu’on lui connait, le réalisateur qui a longtemps travaillé avec Andreï Tarkovski, nous offre un film d’une beauté à couper le souffle. Pour cette reconstitution exigeante il s’est entouré d’historiens spécialistes de la Renaissance. Il a dévoré la correspondance de l’artiste d’où émerge à la fois sa générosité, son grand attachement à sa famille et son caractère colérique et tourmenté. Dès les premières images le ton est donné. Un homme seul en habits très ordinaires parcoure d’un pas rapide une belle route de Toscane d’une immuable beauté, en gesticulant et vitupérant violement contre Rome « la dépravée » et Florence « la putain ». Cet artiste maudit, au sommet de son art, crasseux, avec sa barbe taillée en pointe, au visage buriné, torturé, taillé à la serpe, au regard halluciné, tel qu’incarné par l’époustouflant Alberto Testone très ressemblant au portrait dressé par Daniele da Volterra, rejoint Florence. Une Florence de la Renaissance, minutieusement reconstituée, à la fois sublime et crasseuse, aux rues boueuses, encombrées, aux odeurs putrides, grouillant d’une population pauvre et affairée, de gosses en haillons. Soucieux de réalisme le réalisateur a particulièrement soigné les détails. Les couleurs, les costumes, les décors, les paysages, nous immergent dans la Toscane de cette époque, un voyage magique dans le temps. Un défi fou du réalisateur qui a reproduit scrupuleusement à l’échelle la chapelle Sixtine, les monuments et places de Florence. C’est dans cet écrin que Konchalovsky veut parvenir à nous faire ressentir les tourments d’un artiste plein de génie, les affres de sa création. Michel-Ange est présenté comme un être d’une sensibilité à fleur de peau, fougueux, violent, imprévisible, orgueilleux, généreux et avide, totalement habité par son art et contraint de louvoyer entre deux familles puissantes. Passionné de Dante dont il récite des passages entiers de La divine comédie spécialement de l’Enfer, on le voit, tel un illuminé, demander conseil au fantôme du vieux Dante, qui lui apparaît, bienveillant, en costume rouge. Un artiste exigeant envers lui-même et les autres. Il est connu qu’il voulait choisir son marbre (voir la magnifique biographie d’Irving Stone La Vie ardente de Michel Ange). Son voyage à Carrare pour trouver le marbre qui conviendrait pour les multiples statues du tombeau de Jules II est le clou du film. Il semble écouter la pierre et finit par choisir un morceau de marbre de plusieurs tonnes « blanc comme du sucre » (aujourd’hui encore à Carrare on vend le marbre `Michel Ange’, le plus pur, le plus blanc). Le problème est de descendre ce « monstre » (il mostro) de la montagne jusqu’au port. L’artiste ne recule devant rien et organise sa descente. A coup de florins d’or il mobilise tous les carriers, fait les plans de la machine colossale qui propulsera ce monstre du haut de la montagne. Le film montre tous les détails de l’opération, l’ambiance qui règne parmi ces artisans, leur labeur, leurs cris dans un travail périlleux, au cours duquel l’un d’entre eux perdra la vie ; un moment de bravoure cinématographique. Le bloc arrive enfin au port d’où il ne partira jamais en raison des accords avec le pape Léon X qui prévoit d’autres engagements pour l’artiste. De fait le tombeau de Jules II ne sera jamais achevé.
À 83 ans le grand cinéaste russe réalise un chef-d’œuvre d’une grande beauté, consacré à la création d’un artiste virtuose.
Merci MJC pour cette analyse à la hauteur de ce chef d’oeuvre.