Auteur : Max Ophuls est un cinéaste français d’origine allemande né en 1902 et mort en 1957. Il est le père du documentariste Marcel Ophuls. Il débute au théâtre en 1919 puis devient deux ans plus tard directeur de création du Burgtheater à Vienne où il monte plus de 200 pièces. Il se tourne vers le cinéma en 1929 et réalise son premier long métrage en allemand, Liebelei. De confession juive il se réfugie en France en 1933 après l’incendie du Reichstag. Il réalise quelques films dont Werther (1938) et De Mayerling à Sarajevo (1940). Devenu citoyen français en 1938 il part aux États-Unis en 1940. Il y réalise Lettre d’une inconnue (1948) adaptation libre de la nouvelle de Stefan Zweig. De retour en Europe en 1950 il tourne une série de chefs-d’œuvre, La Ronde (1950), Le Plaisir (1952), Madame de … (1953) et Lola Montès (1955) son dernier film.
Interprètes : Danielle Darrieux (Comtesse Louise de) ; Charles Boyer (Général André de) : Vittorio de Sica (Baron Fabrizio Donati).
Résumé : Pour régler ses dettes, Madame de… vend à un bijoutier des boucles d’oreilles que son mari, le Général de…, lui a offertes et feint de les avoir perdues. Le Général, prévenu par le bijoutier, les rachète et les offre à une maîtresse qui les revend aussitôt. Le baron Donati les acquiert puis il s’éprend de Madame de… et en gage de son amour lui offre les fameuses boucles d’oreilles. Le parcours de ce bijou aura des conséquences dramatiques.
Analyse : Madame de … est le dernier long métrage de Max Ophuls avec sa muse, Danielle Darrieux. Un film qui, malgré les années, reste un chef d’œuvre ; un film léger et grave, plein de grâce et suprêmement élégant. Il concentre tout le talent venu à maturité de ce cinéaste mort trop tôt à 54 ans. Une œuvre touchante pour plusieurs raisons.
D’abord on y retrouve des thèmes chers au réalisateur comme la peinture des désillusions de l’amour au centre de plusieurs de ses films, Lettre d’une inconnue, La Ronde ou Le Plaisir. Également la transformation des êtres par la grâce de l’amour. Louise, Madame de … dont on ne connaitra jamais le nom, est au début du film une mondaine légère, qui donne un sens à sa vie en se ruinant dans l’achat de belles toilettes et de frivolités. Le sentiment amoureux qui l’envahit, et qu’elle n’a plus éprouvé depuis longtemps, la transforme en une femme grave, émouvante, consumée par la passion amoureuse, qui semble prendre conscience de la vacuité de son existence et s’éveille à l’humanité. Mais les réflexes des mensonges et des compromissions de sa vie antérieure détruisent ce bel amour : « La femme que j’étais a fait le malheur de la femme que je suis » dira-t-elle. Des thèmes intemporels qui résistent à l’épreuve du temps.
Ensuite parce qu’on y retrouve les mises en scène éblouissantes du réalisateur. Une mise en scène qui touche à la perfection, ingénieuse, fluide, légère, élégante, précise, qui suit les personnages dans leurs circonvolutions, avec des travellings qui ont fait la réputation du cinéaste. Un plan séquence virtuose d’un bal, en réalité quatre qui semblent n’en faire qu’un, dont seuls les changements de costumes marquent les différentes dates avec des danseurs qui se rapprochent de plus en plus subtilement. Une interminable valse qui n’est que le contrepoint de la narration circulaire chère au réalisateur ; un bijou passe de mains en mains reflétant les sentiments de ses possesseurs, franchit les frontières, pour revenir à sa propriétaire, peu importe la vraisemblance, un de ces artifices si souvent utilisés dans le cinéma d’Ophuls. Une spirale qui structure le film passant d’une comédie légère et superficielle à une descente inéluctable vers un drame à l’antique. Plus le film avance, plus il devient dense et moins il montre car la mort qui l’achève est suggérée avec pudeur et retenue.
On a pu reprocher à Max Ophuls de faire un film en costumes si loin des préoccupations du cinéma d’après-guerre. Il faut y voir le goût qu’a toujours manifesté le réalisateur pour le théâtre, le verbe, le costume, le décor, car chez lui la vie est un théâtre. Une reconstitution d’époque particulièrement réussie qui ajoute au charme du film.
Enfin on doit souligner la magnifique direction d’acteurs. Ophuls a demandé à Danielle Darrieux d’incarner le vide. Elle y a parfaitement réussi avec un jeu nuancé, intense et d’une grande sensibilité. Les acteurs aussi sont parfaits, que ce soit Charles Boyer dans le rôle d’un général qui découvre qu’il aime sa femme ou Vittorio de Sica dans le rôle du bel amoureux aux tempes grisonnantes.
Un chef d’œuvre plein de grâce et délégance.