Autrice : Nora Martirosyan, née en 1973 à Erevan, est une plasticienne et réalisatrice arménienne qui vit en France. Elle est diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Erevan. En 1997, à l’âge de 23 ans, elle quitte l’Arménie, pour parcourir l’Europe. Elle poursuit ses études de beaux-arts à Amsterdam, et à l’école du Fresnoy en France. Depuis 2015, elle enseigne le cinéma et la vidéo à l’école des beaux-arts de Bordeaux et vit à Montpellier. Elle réalise des courts et moyens métrage et des vidéos. Son court métrage Courant d’air remporte le prix du Jury au Festival de Belfort (2003). Les œuvres de Nora Martirosyan ont fait l’objet d’une exposition personnelle en automne 2008, Trou de mémoire, au musée Fabre de Montpellier. Elle commence le tournage de son premier long métrage, Si le vent tombe, en 2018. Il est choisi dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2020 et de l’ACID, (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion).
Interprètes : Grégoire Colin (Alain) ; Hayk Bakhryan (Edgar) ; Davit Hakobyan (Le directeur de l’aéroport) ; Narine Grigoryan (la journaliste).
Résumé : Auditeur international, Alain débarque dans une petite république auto-proclamée du Caucase, le Haut-Karabakh, afin d’expertiser la possibilité d’ouverture de son aéroport. Au contact des habitants Alain s’ouvre à un monde nouveau.
Analyse : Ce film commence par l’arrivée d’Alain Delage à Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh, dont le taxi sillonne une route de montagne longue et sinueuse, dans un paysage magnifique et aride. C’est le fameux corridor de Latchin, seule route qui relie Goris, en Arménie, à Stepanakert. Corridor devenu tristement célèbre depuis l’automne dernier, où se sont déroulés de terribles combats entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui se sont terminés par le re-découpage du Haut-Karabakh et la fuite de la moitié de sa population. Le tournage a eu lieu avant ces évènements et tous les paysages montrés dans le film sont désormais territoires azerbaïdjanais interdits aux arméniens. Pour bien comprendre l’enjeu de ce film il faut se souvenir de l’histoire de cette région. Rattachée à l’Azerbaïdjan par Staline en 1921, cette province arménienne avait revendiqué son indépendance au moment de la chute de l’Union soviétique, en 1991, se proclamant République indépendante. Au terme d’une guerre de trois ans avec l’Azerbaïdjan qui fit 30 000 morts, un cessez-le-feu avait été signé en 1994 sans aucune reconnaissance ni officielle ni internationale. La mise en service de l’aéroport est cruciale pour ses habitants car elle serait le premier pas vers cette reconnaissance du pays.
La réalisatrice nous emmène dans un monde en attente, ubuesque. Tout est prêt, tout le monde est à son poste dans cet aéroport à l’arrêt, du directeur à la femme de ménage. Comme dans Le désert des tartares chacun attend ; attend quoi ? un miracle ? l’intervention de la communauté internationale ? Une attente incarnée par de longues séquences sans paroles. Ils sondent le ciel d’où aucun avion n’arrive… La présence d’Alain, cet expert français, suscite beaucoup d’espoir. Au début, technocrate un peu rigide, il s’interroge sur la proximité de la frontière qui empêcherait les avions de faire demi-tour si le vent se lève et soulève un nuage de poussière. Mais où est la véritable frontière, la ligne de cessez-le-feu ? Celle que lui indique son agence, très près de là ? celle sur la carte que lui montre le directeur de l’aéroport, à plus de 50 km ? Au contact de son chauffeur qui l’entraine avec ses amis et après un déjeuner avec le directeur où celui-ci lui explique, dans un discours émouvant, qu’au-delà de l’existence de l’aéroport il veut préserver la mémoire de son peuple tant de fois sacrifié, on sent la rigidité d’Alain céder doucement.
Si cette république n’existe pas sur la carte la réalisatrice nous montre qu’elle existe dans son humanité ; une humanité déshéritée, privée de ses droits, qui ne vit pas, qui espère. Des paysans pauvres qui mènent leurs vaches brouter sur des terrains arides, des enfants qui jouent à la guerre, mais surtout une absence d’eau potable qu’un petit garçon, Edgar, distribue chaque jour en échange de quelques billets. On le voit constamment traverser l’aéroport, avec ses deux bidons d’eau au bout des bras, le seul qui n’attend rien.
La réalisatrice a su donner à son film une atmosphère étrange, ponctuée par une musique rare mais sinistre avec un dernier plan illusoire et magique qui semble réaliser les rêves d’avenir d’un peuple qui tente d’exister.