Auteur : Lucas Belvaux, né en 1961, est un acteur et réalisateur belge. En 1979, il fugue et arrive à Paris en auto-stop pour devenir comédien. Il obtient le premier rôle dans Allons z’enfants d’Yves Boisset, puis tourne également avec Chabrol, Rivette, Zulawski, Chantal Akerman ou Guédiguian. Parallèlement il réalise Parfois trop d’amour (1993), et Pour rire (1996). Sa trilogie Un couple épatant, Cavale et Après la vie lui vaut le Prix Louis-Delluc 2003. Après La Raison du plus faible (2006), il réalise Rapt (2009), inspiré de l’affaire Empain, puis 38 Témoins (2012) inspiré du roman de Didier Decoin Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, Pas son genre (2014), Chez nous (2017) sur l’extrême droite française. Il est également l’auteur de plusieurs télé films et courts métrages. Il a été couronné par plusieurs jurys internationaux. Des hommes faisait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2020.
Résumé : Ils avaient 20 ans quand ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements » en 1960. Quarante ans après, les traumatismes d’une guerre qui n’a pas dit son nom, les souvenirs enfouis, surgissent douloureusement à l’occasion d’une fête de famille.
Interprètes : Gérard Depardieu (Bernard dit Feu de Bois) ; Catherine Frot (Solange) ; Jean-Pierre Darroussin (Rabut) ; Yoann Zimmer (Bernard jeune) ; Édouard Sulpice (Rabut jeune) ; Fleur Fitoussi (Mireille).
Analyse : Lucas Belvaux signe une très belle adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier. Une adaptation très fidèle, très près du beau texte de l’auteur, sur le traumatisme de ceux qui ont vécu les atrocités d’une guerre qu’ils ont voulu refouler dans leur mémoire mais dont le souvenir resurgit avec une violence dévastatrice. Bernard, surnommé Feu de Bois vit en marge, colosse éructant, alcoolisé, mal embouché, raciste, craint de tous ; plein de ressentiment, il ne s’est jamais remis de ce qu’il a vu et vécu là-bas. Son cousin Rabut lui, a « fait avec ». Mais il est également rattrapé par l’horreur d’une guerre dont ils n’ont pas toujours accepté l’enjeu et dont ils se sont sentis rapidement les otages. Le film commence un matin pour se terminer le lendemain à l’aube. Mais l’utilisation constante des flash-back nous fait revivre des années de luttes. Les souvenirs n’ont pas d’épaisseur temporelle. Ce procédé, habillement utilisé par le réalisateur, nous donne le fil d’une histoire qui nous fait comprendre le règlement aujourd’hui de comptes du passé qui s’inscrivent dans des regards lourds de haines rances. Belvaux a également adopté la logique polyphonique du roman en utilisant abondamment les voix-off. Ce procédé a pu lui être reproché mais il s’en est justement expliqué. « Le problème de la voix-off, en général, c’est la paresse. Quand on n’arrive pas à raconter l’histoire à travers l’action ou les situations, on le fait en voix-off, et c’est envoyé. Or, ça devient un très joli procédé quand on l’utilise dans toutes les possibilités qu’elle offre. Ça peut être presque un instrument télépathique entre des gens qui ne sont pas au même endroit ou à la même époque. J’aime aussi l’idée que ça puisse être un échange d’un personnage avec ce qu’il était quarante ans plus tôt. Que ces voix-off se marient pour faire un chœur, comme un chœur antique. Quand toutes les composantes d’un conflit sont représentées à travers une parole, ça donne une profondeur qu’on n’a pas toujours dans l’image … ». Effectivement, ces voix-off, souvent graves et chaudes, comme celles de Depardieu ou de Darroussin, donnent de l’épaisseur au récit et permettent de prendre un recul nécessaire face aux souffrances, aux horreurs seulement suggérées qui auraient pu être irregardables, insoutenables. Elles permettent aussi de comprendre comment cette guerre, qui n’a jamais dit son nom, a manipulé tant de jeunes qui n’étaient pas préparés à ce chaos indescriptible et auxquels on avait assigné une simple mission de « maintien de l’ordre ». Elles nous disent combien, aujourd’hui encore, les plaies ne sont pas refermées. Le départ de la salle en pleine projection de deux vieux messieurs, en âge d’avoir fait cette guerre, m’a paru très révélateur.
Même si l’on peut estimer le prologue un peu long, Des Hommes reste un beau film sensible et pudique sur la mémoire, les cicatrices de l’Histoire et le destin brisé des hommes qui y ont participé.