Le festival s’est ouvert sur la projection d’Annette de Leos Carax.
Leos Carax est un réalisateur français de 61 ans bien connu. Il n’est pourtant pas très prolixe. En trente-sept ans de carrière il n’a réalisé que six longs métrages, Boy Meets Girl, Mauvais Sang, les Amants du Pont-Neuf, Pola X, et Holy Motors qui avait enflammé la croisette en 2012. Son nouveau film, Annette, présenté en ouverture du festival, est une comédie musicale filmée à la manière d’un opéra pop, animée par la musique entrainante du groupe pop rock américain, les Sparks. Annette est la fille d’Henry McHenry, comédien de stand-up qui cherche à faire rire le public par la provocation et par des numéros qui mettent souvent mal à l’aise et de sa femme Ann, cantatrice de renommée internationale. Adam driver et Marion Cotillard incarnent magnifiquement ces deux personnages.
Après un avertissement du réalisateur en voix off qui nous demande de respirer, soupirer seulement dans nos têtes pendant la durée de la projection, on voit le lancement du film, Carax à la console qui donne le top de départ. Le film peut alors commencer et c’est un plan séquence virtuose qui débute dans les studios de cinéma et nous montre toute la troupe du film, bras dessus bras dessous, cheminer gaiement dans les rues nocturnes d’une grande ville américaine chantant avec allégresse sur la musique enchanteresse des Sparks So may we start ? – Alors, on peut commencer ? Fausse impression de légèreté et de bonheur. On est immédiatement plongé dans l’univers étrange de Carax. Henry part sur sa moto pour faire son show ; elle, est accompagnée à l’opéra où elle meurt tous les soirs sur scène ; très vite ce monde devient inquiétant car le fossé culturel entre les deux amants devient flagrant. Et ce qu’on n’avait pas forcément prévu au départ se révèle être un film d’une très grande noirceur, qui met parfois mal à l’aise, certainement le plus inventif et le plus stupéfiant du réalisateur avec Holy Motors. On y retrouve le goût de Carax pour la musique qui innerve tous ses films. On se souvient notamment de Denis Lavant, courant à perdre haleine dans Mauvais Sang sur l’air de Modern Love de David Bowie comme de Mireille Perrier, secouant la tête au tempo des Dead Kennedys dans Boy Meets Girl, Bowie encore avec Time Will Crawl dans les Amants du Pont-neuf.
Certes ce réalisateur est assez clivant. Il n’a pas échappé cette fois encore à certains critiques assassines. Mais on doit reconnaître que c’est du grand cinéma. Il faut laisser sa rationalité au vestiaire quand on va voir un film de Carax car il nous entraine dans son univers, fou, onirique avec des scènes grandioses. Une mise en scène impressionnante qui utilise toutes les possibilités qu’offre la technique cinématographique, surimpressions, projections d’images en arrière-plan, avec une scène de tempête assez époustouflante. Un film sur l’enfance brisée (je ne dirais rien de la petite Annette pour ne pas déflorer le film), sur l’engrenage de la violence chez un homme (avec quelques pancartes sur le féminicide), une critique à peine cachée du monde du show-biz. Un film riche qui, quelle que soit l’opinion qu’on en retire, ne saurait laisser indifférent.