Mahmat-Saleh Haroun est un réalisateur tchadien de 60 ans vivant en France. Il est à la tête d’une dizaine de longs métrages dont L’homme qui cri qui a obtenu le Prix du Jury au festival de Cannes 2010. Depuis Maral Tanié (1994), l’un de ses premiers courts métrages qui racontait un mariage forcé entre une jeune fille et une homme beaucoup plus vieux qu’elle, le réalisateur fait de sa caméra une «arme» pour le droits des femmes à disposer de leur corps. Lingui, les liens sacrés, son troisième long métrage présenté à Cannes, est son film le plus politique, le plus engagé pour la défense des femmes contre le patriarcat et une religion qui entend réglementer le quotidien intime des femmes. Quel est le propos ? Dans les faubourgs de N’djaména au Tchad, Amina vit seule avec Maria, sa fille unique de quinze ans. Son monde s’écroule le jour où elle découvre que sa fille est enceinte. Cette grossesse, l’adolescente n’en veut pas. Dans un pays où l’avortement est non seulement condamné par la religion, mais aussi par la loi, Amina se trouve face à un combat qui semble insurmontable. Ce sera un combat libérateur pour ces deux femmes et d’autres aussi afin de s’émanciper des hommes et de la religion. Amina qui au début refuse l’idée de l’avortement, se dévoue corps et âme pour trouver le million nécessaire (environ 1500 €) pour faire avorter sa fille alors qu’elle vit dans la précarité. Se noue alors tout un réseau de solidarité. Elle rencontre des faiseuses d’ange comme on les appelait dans nos campagnes, des exciseuses qui pratiquent de fausses excisions, dans une sororité, une solidarité jouissive et une complicité contre les hommes, la religion et la loi. On voit d’ailleurs Amina se détacher progressivement des prêches de l’Imam. Les sujets abordés par Lingui sont donc importants. On y retrouve l’art du cadrage du réalisateur qui compose des plans d’une grande force évocatrice, avec des regards qui en disent plus longs que des discours. On peut cependant regretter un cinéma moins élaboré moins ample que celui auquel nous avait habitué L’homme qui cri.
Le second film vu à Cannes est Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier. Présent en 2011 à Cannes pour son long-métrage Oslo, 31 août, sélectionné dans Un Certain Regard, puis en 2015 pour Plus fort que les bombes en sélection officielle, Joachim Trier revient une nouvelle fois avec ce film qui raconte l’histoire d’une femme trentenaire qui cherche sa voie. Bien qu’en couple avec un dessinateur de BD à succès, elle refuse de lui donner l’enfant qu’il souhaite et tombe amoureuse d’un nouvel homme, dans l’espoir de commencer une nouvelle vie. Sur douze chapitres on voit évoluer l’héroïne qui est un être lumineux mais tiraillée par le doute et l’incertitude, indécise, quitte à en faire les frais. Elle est résolument moderne et beaucoup de jeunes se retrouveront en elle. La mise en scène de ce 5ème long métrage utilise des audaces de forme, des dialogues très crus, un monde qui se fige pendant quelques minutes pour traduire cette impression que pour ceux qui s’aiment le monde alentour s’arrête car ils sont seuls au monde. Un film très plaisant sur l’amour, la filiation, le temps qui passe.