Autrice : Gessica Généus, née en 1985, est une comédienne, réalisatrice, écrivaine haïtienne. Elle commence sa carrière de comédienne à 17 ans avec le long-métrage Barikad (2002) de Richard Sénékal, ce qui la consacra « star du cinéma haïtien », et lui vaut le Grand Prix de la Diaspora à la FESPACO. Après le tremblement de terre de 2010 elle obtient une bourse d’études en actorat à Acting International à Paris. De 2012 à 2017 elle réalise deux courts métrages dont Douvan Jou Ka Leve qui remporte huit prix à l’international, et publie son premier livre : Yon ti koze ak sèm. Freda son premier long métrage, présenté à Cannes 2021 dans la section Un certain regard, a obtenu la mention spéciale Découverte du Prix François Chalais.
Interprètes : Néhémie Bastien (Freda) ; Fabiola Remy (Janette) ; Djanaïna François (Esther).
Résumé : Freda habite avec sa mère et sa sœur dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Elles font face avec courage aux défis du quotidien en Haïti où se pose la question : partir ou rester. Freda veut croire en l’avenir de son pays.
Analyse : C’est un film sur les femmes d’Haïti, dans une fiction qui mêle habilement les évènements politiques réels que traverse le pays et la vie intime d’une famille composée essentiellement de trois femmes, Jeanine, la mère, Freda l’ainée, Esther et Moïse, le garçon de la famille qui ne lève pas le petit doigt à la maison et est totalement insignifiant. Un film dont l’action se situe en 2018, soit 8 ans après le tremblement de terre dont l‘ile ne s’est toujours pas remise, malgré une aide internationale massive, largement détournée par des politiques corrompus. Cette année-là ont lieu des émeutes anticorruption filmées par la réalisatrice qui les a intégrées dans son scénario. La vie publique est indissociable de celle des trois protagonistes, à l’image du pays où les gens, dans certains quartiers, vivent dehors, sans aucune intimité. Pendant le festival de Cannes où était projeté le film, la situation politique du pays a empiré par l’assassinat du Président d’Haïti Jovenel Moïse. Un pays qui réunit toute la misère du monde, sur lequel s’acharnent la nature et ses propres dirigeants. Pourtant ce film n’est ni un cri de détresse ni un étalage de malheurs. La réalisatrice nous présente son film, en langue créole, sous un jour dynamique, parfois joyeux, avec même un certain humour. Car son propos n’est pas la pauvreté endémique qui mine son pays mais la condition des femmes dans un quartier pauvre de Port-au-Prince. Dans cette société encore très patriarcale, ces trois femmes, dans un style très différent, sont des combattantes. Elles ont soif de liberté et assument avec courage leurs choix, même quand elles se trompent. Freda est une intellectuelle. Elle veut terminer ses études supérieures, fait des petits boulots pour continuer à les payer, et résiste aux injonctions de sa mère de trouver un mari riche. Elle refuse de suivre son amoureux qui part à Saint-Domingue, pour rester dans son pays, près de sa famille. Esther est coquette, ravissante, se blanchit la peau et compte bien tirer parti de son physique pour se marier richement et sortir de la misère. Elle arrivera à séduire un sénateur corrompu, se mariera pour le regretter très rapidement. Quant à Jeannette, elle porte sur son visage les stigmates des malheurs qui l’ont accablée toute sa vie. Sa petite boutique au 33 d’une rue de Port-au-Prince, est le lieu de rassemblement de cette petite famille. C’est de là qu’on va assister aux manifestations d’un peuple en colère, vision d’un pays en proie au chaos, où se pose la question récurrente : rester ou partir ?
La réalisatrice filme au plus près ces trois héroïnes, magnifiquement interprétées par de formidables actrices peu expérimentées, pleines de justesse et de vérité. Une magnifique scène d’amour et de pardon entre Freda et sa mère illumine les dernières minutes de ce beau film.
Je n’aurai pas le mauvais gout de relever quelques maladresses de style dans ce premier film qui nous montre toute l’énergie, tout l’espoir que porte cette jeunesse malgré un contexte calamiteux ; un premier film très prometteur.