ZIYARA

Autrice : Simone Bitton, née en 1955, est une réalisatrice de films documentaires, productrice, écrivaine franco-marocaine. Elle émigre en Israël avec sa famille en 1966, et se retrouve dans l’armée israélienne lors de la guerre du Kippour en 1973. Elle s’établit ensuite à Paris où elle a obtenu le diplôme de l’HIDEC. Depuis 2013, elle enseigne au département cinéma de l’Université de Paris 8, et est membre et formatrice des Ateliers Varan depuis 2014. Elle a réalisé treize documentaires dont Mur (2004), sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un certain regard, où elle filme l’édifice séparant juifs et palestinien, symbole politique d’une intolérance, d’une crispation, d’une guerre sans fin entre deux peuples.

Résumé : « Ziyara » est un mot arabe qui désigne le pèlerinage, et renvoie au culte des saints. Dans ce documentaire Simone Bitton part à la recherche de ces lieux de pèlerinage que juifs et arabes musulmans ont toujours partagés.

Analyse : Dans ce road-movie Simone Bitton interroge sa double appartenance culturelle, « juive et arabe »comme elle se définit elle-même. Dans des lieux souvent éloignés elle visite la sépulture de ces saints qui étaient des sages, des guérisseurs ou des prophètes. Elle s’arrête également dans les cimetières où des Bitton, nom assez répandu, sont enterrés, dans des synagogues où les rouleaux de la Torah sont précieusement conservés. Tous ces lieux sont soigneusement gardés par des musulmans qui ont souvent reçu cette charge en héritage. Des personnes humbles, généreuses et hospitalières qui remplissent leur mission avec conscience et humanité. La plupart sont des personnes âgées, dont certaines ont connu l’époque où des juifs habitaient les lieux, qui sont allés sur les mêmes bancs d’école qu’eux, qui gardent religieusement les photos souvenirs de ces deux communautés mêlées qui vivaient ensemble, partageaient la même vie, la même culture, les mêmes joies, les mêmes malheurs. Beaucoup d’entre eux sont nostalgiques de ce passé et expriment leur regret de ne plus avoir leurs voisins juifs. En 1950 il y avait au Maroc environ 300 000 juifs. Ils ne sont plus que quelques centaines aujourd’hui, dispersés à travers le pays. L’un des personnages interviewés pose une question troublante : que serait devenu le Maroc si les juifs y étaient restés ?

Simone Bitton a quitté le Maroc à l‘âge de 11 ans. Au cours de son tournage elle retrouve, miraculeusement surgi de son enfance, le dialecte arabe marocain, la darija, ce qui lui permet de poser directement des questions à ces gardiens et d’être immédiatement en empathie avec eux. Ce voyage n’est pas pour elle une simple visite de lieux sacrés. C’est l’expression de la profonde nostalgie de la terre mère qui habite tout exilé avec le rêve d’y revenir un jour, pèlerinage intime de la réalisatrice à la recherche de ses origines juives marocaines. Deux communautés à l’histoire commune : un des principaux prisonniers politiques marocain était juif, Abraham Serfaty (1926-2010), militant communiste, qui resta emprisonné dix-sept ans dans les geôles d’Hassan II et que l’on surnomme parfois le « Mandela marocain » .

Un documentaire empreint d’une grande sérénité entre deux communautés que l’on est trop habitués à voir en conflit. Un message de paix, de tolérance, tellement réconfortant. Des scènes émouvantes : celle de cette femme qui a appris seule l’hébreu en déchiffrant les noms sur les tombes qu’elle nettoie et qui consigne dans un cahier tous les patronymes ; ou celle de la conservatrice d’une synagogue qui murmure une prière en arabe avec les rouleaux de la Torah enveloppés dans ses bras. Simone Bitton termine ce documentaire profondément humain avec ce message « Merci aux gardiens musulmans de ma mémoire juive ».

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