Auteur : Asghar Farhadi, né en 1972, est un réalisateur, scénariste, producteur iranien ; Diplômé des universités de Téhéran il s’intéresse à l’écriture théâtrale avant de se tourner vers le cinéma. A partir de 1986 il tourne plusieurs courts métrages. Il réalise en 2003 son premier long métrage, Dancing in the dust. En 2004 son deuxième film, Les Enfants de Belle Ville, un drame qui s’intéresse à la peine de mort encore très appliquée en Iran. En 2006, son troisième long métrage, La Fête du feu, reçoit le Hugo d’Or au Festival international du film de Chicago. Il participe à de nombreux scénarii et obtient en 2009 l’Ours d’argent du Meilleur réalisateur à Berlin pour À propose d’Elly. En 2011, Une séparation lui offre la consécration internationale et obtient, notamment, l’Ours d’Or du Meilleur film et l’Oscar du Meilleur film étranger. Après Le Passé (2013) tourné en France, Le Client (2016) obtient à
Cannes le prix d’interprétation masculine pour Hosseini et le prix du scénario, ainsi qu’un Oscar. Fort de ce succès international, le réalisateur pose sa caméra en Espagne pour Everybody Knows (2018), présenté à Cannes. Un Héros a obtenu le Grand Prix au Festival de Cannes 2021.
Interprètes : Amir Jadidi (Rahim) ; Sahar Goldust (Farkhondeh, sa faincée) ; Mohsen Tanabandeh (Braham, le créancier).
Résumé : En Iran, Rahim, poursuivi par un créancier tenace, se retrouve en prison pour ne pas avoir pu rembourser son imposante dette. Il obtient rapidement une permission de deux jours qu’il souhaite utiliser pour rencontrer son créancier et tenter de le convaincre de changer d’avis. Sa fiancée trouve très opportunément un sac contenant des pièces d’or. Après hésitation il décide de le rendre à sa propriétaire. Il devient alors un héros son geste étant repris par les réseaux sociaux et les médias. Par un engrenage absurde il devient suspect de supercherie et ne parvient pas à obtenir le résultat espéré…
Analyse : Après (Everybody Knows 2018), tourné en Espagne avec un inégal bonheur, Asghar Farhadi revient dans son pays, à Chiraz, cœur de l’histoire iranienne. Son dernier film ne surprend pas. On y retrouve le goût du réalisateur pour les relations complexes, ambigües, qui mettent ses personnages dans des situations inextricables, pour l’étude de la solidarité familiale, de l’honnêteté du citoyen, avec une critique féroce du régime iranien suffisamment subtile pour échapper à la censure. Notre héros, si attachant, est l’incarnation de l’ambiguïté. Que cache-t-il derrière cet éternel sourire, cet air de chien battu ? un honnête homme, un opportuniste, un être « naïf ou très intelligent » comme le résumera un membre de l’administration pénitentiaire ? Pourquoi a-t-il rendu les pièces d’or trouvées par son amie ? parce qu’il s’est assuré d’abord auprès de son créancier intransigeant que ce dernier ne se contenterait pas d’une partie de la somme, et que le revenu de ce petit trésor ne le sauverait pas ou par honnêteté profonde ? mais par ailleurs, peut-on lui reprocher d’avoir monté un mensonge devant les exigences d’une administration tatillonne qui, soupçonnant un coup monté, veut l’identité de la personne qui a récupéré les pièces et qui a disparu, alors qu’il se trouve dans une situation difficile où après avoir connu la gloire son honneur est menacé ? C’est ce vertige de questionnements qui saisit le spectateur dont le cinéaste veut « susciter la réflexion ». Le réalisateur insiste également sur l’archaïsme d’une justice qui prévoit toujours l’emprisonnement pour dette (mesure qui a disparu en France depuis 1867) ; une justice qui laisse au créancier le droit de pardonner ou de laisser croupir en prison son débiteur, esprit proche de la loi du talion. Avec l’apparition d’un élément nouveau : le pouvoir des réseaux sociaux qui font et défont une réputation en quelques clics, qui répandent comme une trainée de poudre les fausses nouvelles, phénomène qui atteint l’Iran également. Notre héros en est la première victime dont la gloire et la chute se sont faites par les réseaux sociaux, par la télévision qui a donné un écho national à sa grâce comme à sa disgrâce. Il est même soutenu par une association caritative influente qui se charge de sauver ceux que la justice a condamnés à mort et qui rapidement se méfiera de lui.
Par un scénario intelligent, implacable, d’une grande précision le réalisateur nous montre la situation dédaléenne dans laquelle se trouve son héros, qui exclut toute voie de sortie, toute possibilité de rédemption. La mise en scène, sobre et inventive, plonge le spectateur dans ce chaos étouffant d’un quotidien désespérant dans lequel chaque personnage a sa part d’ambiguïté, de vérité et de petits arrangements pour tenter de survivre dans un système autoritaire et corrompu. Une fable morale et sociale pleine d’intérêt qui confirme, si besoin était, le grand talent d’Asghar Farhadi.