Auteur : Emmanuel Mouret né en 1970, est un réalisateur, scénariste et acteur français. Originaire de Marseille, il monte à Paris où il prend des cours d’art dramatique et intègre la FEMIS (département réalisation) dont il sort diplômé en 1998. Il réalise quelques courts métrages et un moyen métrage, Promène-toi donc tout nu ! (1999), un subtil marivaudage. Héritier de Rohmer et Woody Allen, il joue souvent, le rôle principal de ses films, un jeune homme candide et maladroit. Il réalise son premier film, Laissons Lucie faire (2000) puis un second, Vénus et Fleur (2004), présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes de même que son troisième long, Changement d’adresse (2006), réflexion amusée sur « l’obstination amoureuse et la malléabilité du cœur ». Le succès de ce dernier film lui permet de réaliser Un baiser s’il vous plait (2007), présenté à la Mostra de Venise, toujours sur le thème du sentiment amoureux. Sa carte du tendre s’enrichit en 2009 d’une nouvelle étape, plus franchement burlesque, Fais-moi plaisir, en 2011 sur L’Art d’aimer, puis en 2013 sur Une autre vie. En 2018, il s’attaque au film en costumes avec Mademoiselle de Jonquières, adapté d’une œuvre de Diderot. Deux ans plus tard, il revient à une romance contemporaine avec Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Chronique d’une liaison passagère a été présenté à Cannes 2022.
Interprètes : Sandrine Kiberlain (Charlotte) ; Vincent Macaigne (Simon) ; Georgia Scallet (Louise).
Résumé : Une mère célibataire et un homme marié deviennent amants. Engagés à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité…
Analyse : Emanuel Mouret, cinéaste du rapport amoureux, creuse son sillon davantage à chaque film jusqu’à atteindre la perfection. Chronique d’une liaison passagère est une perfection de subtilité, de délicatesse, d’intelligence, où le non-dit parle autant que le discours pourtant nourri et foisonnant. Une chronique sur le discours amoureux qui fait immédiatement penser à Barthes (Fragments d’un discours amoureux), tant il est riche et intelligent. D’aucuns trouveront ce film bavard. Mais comment ne pas apprécier des dialogues aussi fins, subtils, raffinés, élégants et drôles ? Du point de vue cinématographique le réalisateur se rapproche de ceux qu’il admire, en particulier Woody Allen (on ne peut pas ne pas penser à Annie Hall) ou Rohmer. Charlotte, célibataire veut vivre un amour libre, uniquement physique, libéré de toute passion, de tout attachement, donc de toute contrainte et tourment. Elle entraine dans son désir Simon, marié, qui veut et ne veut pas. Il n’a jamais trompé sa femme. Il veut bien franchir le pas tant il est attiré par Charlotte, mais on est bien d’accord, aux conditions qu’elle a fixées. Il est coincé, gauche, peureux, hésitant, magnifiquement incarné par un Vincent Macaigne taillé pour le rôle. Elle est la locomotive, décidée, entreprenante, audacieuse, rayonnante et spontanée ; il suit. Le film égrène les dates de leurs rencontres dont le réalisateur a le bon gout et la pudeur de ne rien montrer de leurs ébats. Car là n’est pas son propos. Il préfère nous associer à l’évolution de cette relation au fil des rencontres dans les musées, les parcs, à l’hôtel aussi, ce qui donne une scène cocasse où Simon, qui ne veut pas sortir de l’hôtel en même temps que Charlotte, l’embrasse fougueusement sous les ‘yeux’ d’une caméra de contrôle ! Charlotte va jusqu’à imaginer un amour à trois avec Louise, sur laquelle elle a jeté son dévolu ; bien sûr il est d’accord mais il est drôle de voir toutes les stratégies qu’il utilise, aussi bien que Louise, pour reculer le moment fatidique, tandis que Charlotte elle, veut accélérer le mouvement ! Ils sont de toutes les scènes, dans des plans particulièrement travaillés et réussis ; le spectateur s’attache à eux, les suit en se nourrissant de leurs longs échanges, devient complice de leur relation. Ils vont dans la nature qui tient un grand rôle dans le film, au cinéma voir Scènes de la vie conjugale de Bergman (comme pour les conforter dans leur parti pris de légèreté) ; on les suit au musée, où ils bavardent plus qu’ils ne regardent les œuvres qui défilent sous nos yeux, jusqu’à ce que le réalisateur les laisse sortir du champ pour s’attarder sur Le sommeil de Gustave Courbet où deux amantes nues sont enlacées. Est-ce un clin d’œil vers le dénouement ?
La mise en scène est inventive, qui joue avec les personnages et rend les dialogues vivants. De longs plans séquences où l’on suit les deux acteurs, parfois de dos, qui disparaissent du champ pour réapparaître dans l’encadrement d’une porte. Des travellings avant qui marque l’évolution de leurs relations. De magnifiques lumières aussi, que ce soit celle de la nature ou d’un Paris aux couleurs chaudes. Parfois également les deux amants sont filmés en ombres chinoises, avec en arrière-plan une verrière ou un tableau dans un musée. Le film est également un festival de musique classique, les notes subtiles de Mozart mais aussi Haendel, Chostakovitch, Poulenc, et la merveilleuse voix de Juliette Greco chantant La Javanaise de Serge Gainsbourg.
Au début, c’est un parfait marivaudage. Mais ces deux là s’entendent trop bien, sont beaucoup trop complices, et on imagine aisément que contrairement à leur pacte de départ, ils vivent bel et bien une histoire d’amour. On entre alors dans la gravité. Il y a chez Mouret les choses qu’on dit et les choses qu’on fait, et c’est l’intérêt de ses films ! Cette œuvre qui se voulait donc légère ne l’est pas autant qu’on l’avait imaginé. La scène de la fin est pathétique mais le tout dernier plan nous laisse sur une interrogation quant à leur avenir, malgré l’affirmation du titre du film.
Un petit bijou de film, réjouissant, brillant, séduisant, sensible et profond, délicat également dans son art de ne pas tout exprimer mais de suggérer, qui sonde la complexité du rapport amoureux, porté par deux magnifiques acteurs.
Absolument d’accord sur ma délicatesse du film. Le dénouement laisse à penser que la liaison n’aura que le titre de passagère. ..