Auteur : Saeed Roustaee est un jeune scénariste et réalisateur iranien né en 1989. Il a commencé sa carrière cinématographique en écrivant et réalisant des court-métrages et un documentaire très apprécié, couronné de plus d’une centaine de prix. Son premier long-métrage, Life and a day (2016), a reçu les 9 principaux prix du Festival International du Film de Fajr à Téhéran, le plus important festival iranien, ainsi que d’autres prix en Iran et dans divers festivals internationaux. Son 2ème film, La loi de Téhéran (2021), le premier à être diffusé en France, très remarqué, a été sélectionné au Festival de Venise, nommé au César du Meilleur Film Étranger et a remporté le Grand Prix et le Prix de la Critique du festival international du film policier Reims Polar. Il a présenté en sélection officielle à Cannes 2022 son troisième long métrage, Leila et ses frères. Il a obtenu le Prix de la critique internationale FIPRECI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique).
Interprètes : Taraneh Alidousti (Leila), Saeed Poursamini (le père), Navid Mohammadzadeh (Alireza), Payman Maadi (Manouchehr), Fahrad Aslani (Parviz), Mohammad Ali Mohammadi (Fahrad)
Résumé : Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.
Analyse : Ce grand film, non primé par le dernier jury cannois, fait partie d’une des aberrations du palmarès du dernier festival. Le réalisateur iranien dresse sans concession une chronique familiale, politique et sociale d’un pays paralysé par ses traditions rigides d’un autre âge, son patriarcat qui se voulant vertueux néglige l’avis des femmes en les condamnant au silence et à l’inaction, et empêche par son conditionnement tout épanouissement personnel ; d’un pays étranglée par les sanctions internationales où un simple Tweet de Trump suffit à relancer l’inflation galopante qui provoque la misère d’une grande partie de la population condamnée à vivre de magouilles et d’expédients, où la quête de l’argent devient essentielle. C’est un puissant pamphlet politique qui n’a toujours pas reçu son visa de sortie dans son pays. Dans une sorte de prologue il nous présente les divers membres de la famille. Quatre frères et une sœur s’entassent dans le petit appartement familial, Alireza qui vient de se faire licencier sans indemnité de l’usine de sidérurgie en faillite où il travaillait, Manouchehr qui traficote en montant des arnaques à la vente de voiture, Farhad, chômeur qui passe son temps à faire de la muscu et à regarder des matchs de catch à la télé, Parviz qui entretient femme et enfants (dont un nouveau bébé) avec un salaire de « dame-pipi » dans les toilettes d’un centre commercial. Ils sont criblés de dettes et vivent chichement. Avec eux, Leila, travailleuse, entreprenante, la seule raisonnable et sensée dans cette famille de bras cassés, qui n’a pu faire sa vie car ses parents ne pouvaient payer une dot et ont besoin de ses bras. C’est une femme moderne, intelligente, qui essaye de sortir la famille de la misère, consciente comme elle le dit en substance que ce pays inculque des convictions mais n’apprend pas à réfléchir. Un très beau portrait de femme, forte et attachante. Au milieu d’eux le vieux père, Esmaïl, qui fait des choix catastrophiques dans sa vie et préfère dépenser tout l’argent qu’il a économisé (quarante pièces d’or tout de même !) par vanité imbécile pour acquérir la place de « parrain » et gagner en prestige auprès de ses cousins, plutôt que d’aider ses propres enfants. C’est désespérant !
Les premiers plans sont d’une ampleur impressionnante. Une usine en faillite dont les machines s’arrêtent doucement et les centaines de salariés, impayés depuis un an, casques jaunes en tête, qui défilent dans les rues, se révoltent et sont sévèrement matés par la police. Ensuite commence la chronique familiale avec beaucoup d’échanges verbaux, rudes, souvent violents (le père dit à sa femme : « J’aurais préféré que tu sois stérile » et Leila de dire « Vous ne voulez pas crever tous les deux ? »), dans un univers qui se rétrécit et donne un sentiment de claustration à l’image d’une société qui étouffe. Un huis-clos dans un appartement étriqué qui contraste avec la somptueuse scène du mariage qui dénonce une société où l’argent est roi préférant se réfugier dans le paraître faute de pouvoir être elle-même. Dans une mise en scène virtuose, nerveuse, précise, dynamique, dense, le réalisateur prend son temps pour développer son propos et nous tient en haleine pendant une durée de 2h49 dont aucune minute n’est à retirer. Il n’en fallait pas moins pour nous décrire la détresse d’une famille face au marasme économique et social, le poids des traditions, un patriarcat indécrottable et une société cupide dans laquelle l’argent représente une véritable position sociale. Avec habileté il mélange les genres passant de la comédie au cinéma social et politique, au drame.
Un film puissant, centré sur une personnalité féminine forte, réjouissante, qui confirme le talent d’un jeune réalisateur qui se place dans la lignée des grands maîtres iraniens, notamment d’Asghar Farhadi, qui aurait vraiment mérité de figurer au palmarès.