Auteur : Camille Ponsin est un réalisateur, directeur de la photographie français. Il a commencé sa carrière comme chef opérateur avant d’entreprendre la réalisation de documentaires pour la télévision à partir de 2003. On lui doit notamment Les Demoiselles de Nankin (2007), Bollywood Boulevard (2010), Le Droit au baiser(2013) ou Les Grandes vacances (2019). La Combattante (2022) est son premier long métrage pour le cinéma.
Résumé : Marie-José Tubiana, 90 ans, est une ethnologue à la retraite, spécialiste du Darfour. Chaque jour, elle recueille minutieusement des témoignages de réfugiés pour authentifier leur récit et compléter leur dossier de demandeur d’asile.
Analyse : Quel bel hommage rendu à Marie-José Tubiana, cette ethnologue du CNRS, spécialiste du Soudan et du Tchad, qui passe sa retraite à aider des réfugiés du Darfour dont la demande d’asile a été rejetée par l’Ofpra (office français de protection des réfugiés et apatrides), et qui viennent la consulter pour déposer un recours devant la Cour nationale du droit d’asile ! Cette dame de 90 ans a passé sa vie au Soudan et au Tchad alors en paix, à recueillir les coutumes, les usages, les rites sociaux, religieux et animistes de ces populations. Jean Rouch lui a appris à tenir une caméra. Dans son appartement parisien regorgeant de dossiers, se nichent de vrais trésors, films, photographies, récits, cartes de villages aujourd’hui disparus qu’elle a elle-même dressées, témoignages vivants d’un peuple joyeux. Cette région du Darfour est en guerre depuis vingt ans. Une de ces guerres oubliées. Le dictateur du Soudan Omar El Bechir, tenant d’un islam radical, aujourd’hui destitué mais remplacé par un de ses seconds, a poursuivi avec férocité ces populations pourtant musulmanes mais qualifiées de rebelles, aidé par la milice janjawid, les semeurs de mort ; tueries de masse, viols, incendies de villages dont beaucoup ont disparu de la carte. Ce sont ces réfugiés que Marie-José accueille chez elle, avec humanité, empathie et respect. Leur demande d’asile politique a été refusée aux motifs de déclarations imprécises, d’appartenance insuffisamment prouvée, de sévices non prouvés. Marie-José Tubiana, grâce à la connaissance unique et précieuse qu’elle a du terrain, reconstitue, avec l’aide d’interprètes, leur parcours, retrouve sur de vieilles cartes leurs lieux de vie et les aide à étayer leur appel devant la cour. Leur témoignage est terrifiant, car ces êtres humains ont non seulement vécu l’horreur chez eux, souvent seuls survivants dans leur famille de ce génocide, mais ont dû subir un autre calvaire en Lybie où ils ont été emprisonnés, torturés, réduits en esclavage. Et au pays des droits de l’homme ils sont menacés d’être renvoyés dans leur enfer ! Les attestations de Marie-José Tubiana ont un poids important car elle est la seule spécialiste en France de cette région. Elle reçoit aussi quelques femmes, victimes de mariages forcés et d’excision qui veulent protéger leurs petites filles. Tous les cas que le réalisateur nous a fait partager ont obtenu l’asile politique.
La vieille dame s’indigne, à juste titre, de la politique de l’Union européenne qui, en 2016, a alloué 200 millions d’euros au Soudan pour retenir ceux qui tentent de fuir le pays et, en a octroyé, en 2017, 90 à la Libye au titre de la gestion des frontières et des migrations. De l’argent distribué aux assassins, car les exactions au Darfour continuent de nos jours, avec son flot de réfugiés. En vingt ans, le génocide a fait 300 000 morts et 3 millions de déplacés.
Camille Ponsin a filmé ces échanges dans l’appartement de Marie-José Tubiana, en les mêlant à des images d’archives, d’extraits de films et de magnifiques photos de l’ethnologue. Un film qui nous donne un autre regard sur les immigrés au moment où le problème de l’immigration est devenu le fonds de commerce de certains partis extrémistes, plein d’humanité, de bienveillance, d’empathie, de respect et d’amour.