Auteur : Après des études à l’École Officielle de l’Art Cinématographique à Madrid de 1966 à 1969, le chilien Patricio Guzmán , né en 1941, produit et réalise La bataille du Chili (1974-1977). Cette trilogie de cinq heures sur la période finale du gouvernement de Salvador Allende remporte six grands prix en Europe et en Amérique latine. Exilé à Paris il réalise plusieurs documentaires sur les bouleversements majeurs que connaît le Chili en cette fin de XXe siècle, notamment autour des deux grandes personnalités politiques de son pays : Augusto Pinochet (Le cas Pinochet, 2001) et Salvador Allende (Salvador Allende, 2004). Il revient au Chili pour tourner en 2010 Nostalgie de la lumière, puis, Le bouton de nacre (2015 – Voir ma fiche du 6 novembre 2015). La cordillère des songes, le dernier de cette trilogie (2019 – Voir ma fiche du 4 novembre 2019), a obtenu l’œil d’or SCAM du meilleur documentaire au festival de Cannes 2019. Mon pays imaginaire (2022) a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2022.
Résumé : 46 ans après le coup d’état renversant Allende, les Chiliens sont sortis par milliers dans les rues pour revendiquer plus de liberté, de justice et d’égalité et renverser le pouvoir en place.
Analyse : Le 7 octobre 2019 une révolte populaire éclate au Chili. L’étincelle est l’augmentation à deux reprises du prix du ticket de métro. Une révolte de jeunes, lycéens et étudiants, qui fait rapidement tache d’huile, gagne la rue, les quartiers, les villes et le pays tout entier. Patricio Guzmán , 81 ans, toujours exilé en France, se précipite dans son pays pour continuer à raconter son histoire et ses états d’âme. Dans ce documentaire pris sur le vif des évènements on ne retrouve pas la vision philosophique, métaphysique et poétique de sa trilogie précédente (Nostalgie de la lumière, Le bouton de nacre, La cordillère des songes). Mais avec son talent de réalisateur il nous donne une vision magistrale de ce que fut cette révolte engendrée par les inégalités sociales insupportables, l’absence de justice, de liberté, le manque de soins et d’éducation d’un peuple laissé à l’abandon par un gouvernement de et pour les riches. Un mouvement qui doit beaucoup aux femmes qui se mobilisèrent en masse. Une séquence magnifique d’une manifestation de milliers de femmes, yeux bandés de noir et foulard vert au poignet, qui scandent un poème qui se termine, dans une chorégraphie de milliers de bras tendus au doigt accusateur, par : « El violador eres tu ». Guzmán commente les évènements en off, avec sa voix chaude, lente, articulée, qui nous le rend si familier. Des interviews de femmes exclusivement qui avec courage et conviction expriment des revendications féministes, analysent la situation de leur pays et proposent un avenir meilleur auquel des centaines de milliers de gens réunis dans les rues croient fermement. Par l’utilisation de drones le réalisateur offre une vue saisissante des rues de Santiago avec ses gigantesques cortèges sans fin. Il filme également la répression d’une violence féroce qui s’est abattue sur les manifestants qui n’avaient comme arme que des morceaux de pavés qui, en gros plan, ouvrent et clôturent le film. Une répression qu’il a déjà eu l’occasion de filmer comme une histoire qui bégaye et qu’il connait bien, lui victime du régime fasciste de Pinochet, emprisonné, qui n’a dû son salut qu’à l’exil en France. Face à cette vague de protestations le président Piñera avait déclaré le pays « en guerre » et envoyé l’armée, de sinistre mémoire. Mais c’est lui qui a dû partir laissant la place à un ancien leader étudiant, Gabriel Boric, 36 ans à peine, écologiste, féministe, défenseur d’une politique sociale. Guzmán filme l’immense foule, masse multicolore et impressionnante, venue écouter son premier discours dans lequel il remercie particulièrement les femmes. L’espoir renaît. Une des revendications principales des manifestants, l’abolition de la constitution qui date de Pinochet, est mise en chantier. Elisa Loncon, femme mapuche, est nommée présidente de l’Assemblée constituante qui siège dans une stricte parité femme-homme. Au moment de terminer son film au titre prémonitoire, Guzmán ignorait que ces espoirs allaient être douchés par le rejet, par referendum, du projet de constitution en septembre dernier. Un film politique attachant dont on sort le sourire aux lèvres, plein et pleine d’espoir pour un pays qui retrouve sa mémoire.