Nostalgia

Auteur : Mario Martone né en 1959 à Naples, est un réalisateur, scénariste, metteur en scène de théâtre et d’opéra italien. Il est à la tête d’une vingtaine de films, documentaires, courts et moyens métrages. Parmi ses longs métrages, les plus connus sont Mort d’un mathématicien napolitain (1992) sur la fin de la vie de Renato Caccioppoli, L’Amour meurtri (1995), Théâtre de guerre (1990), L’Odeur du sang (2003), Frères d’Italie (2010). En juin 2008, il a assuré à Paris la mise en scène de Falstaff de Verdi, au Théâtre des Champs-Élysées, et en janvier 2011, celle de Cavalleria rusticana et de Pagliacci à la Scala de Milan. En 2018 son film Capri-Revolution a été sélestionné à la Mostra de Venise. Nostalgia a été sélectionné à Cannes 2022 pour l’attribution de la palme. Il n’a reçu aucun prix. Pierfrancesco Favino aurait largement mérité le Prix d’interprétation.

Interprètes : Pierfrancesco Favino (Felice) ; Tommaso Ragno (Oreste) ; Aurora Quattrochi (Teresa, la mère) ; Francesco Di Leva (Padre Luigi Rega).

Résumé : Après 40 ans d’absence, Felice retourne dans sa ville natale : Naples. Il redécouvre les lieux, les codes de la ville et retrouve un passé qui le ronge.

Analyse : En commentant ce film à Cannes j’avais écrit : « Un film qui aurait dû transpirer d’émotion, mais une émotion qui en raison d’une certaine retenue de l’auteur, n’arrive pas à percer. » En le revoyant j’ai changé d’opinion. Il est vrai que lorsque l’on voit plusieurs films par jour et qu’on les commente à chaud, il se produit ce qu’on pourrait appeler ‘l’effet Cannes’ qui peut fausser le jugement. Je ne pense plus que ce film manque d’émotion. Adapté d’un roman posthume d’Ermanno Rea (inédit en français), Nostalgia est un grand film qui nous capte totalement ses deux heures durant. Étymologiquement la nostalgie est le mal du pays. Felice Lasco a quitté sa ville natale, Naples, pendant 40 ans. Du Liban à l’Afrique du Sud, il a fini par s’établir en Égypte, se marier avec une médecin et monter une entreprise dans le bâtiment. Le film nous dévoile très progressivement les raisons de cet exil, une erreur de jeunesse avec un ami d’enfance, Oreste, qui s’est terminée tragiquement. Felice arpente les ruelles tortueuses et inquiétantes du quartier populaire où il a grandi : la Sanità. Le réalisateur indéniablement amoureux de sa ville, la filme avec amour, capte son âme et en fait un personnage à part entière. Une ville où « la joie et l’allégresse sont comme suspendues au-dessus du néant » dit-ilUne ville filmée dans ses couleurs, ses délabrements, ses immeubles sordides, son art de vivre nonchalant, sa chaleur et la gentillesse de ses habitants. Une ville belle et vénéneuse, où règne la constante menace de la Camorra dont Oreste précisément est devenu un des chefs, surnommé par la population « Il Malomo ». Felice est en proie à ces menaces, on lui brule sa moto, on vandalise son appartement en écrivant sur les murs « disparais !», il est frôlé dans les rues par des rodéos de motos pétaradantes et effrayantes ; tout le monde lui conseille de partir, il n’a plus rien à attendre de cette ville, il doit continuer son exil. Alors pourquoi s’obstine-t-il à rester ? Au départ, on peut le comprendre. Il revient voir sa mère qu’il n’a pas revue depuis son départ, femme humble, ancienne couturière. Il la retrouve dans un appartement sordide, chassée du sien par Oreste. Ces retrouvailles donnent lieu à des scènes d’une douceur et d’une émotion intenses. Il prend soin d’elle comme d’un enfant, lui donne le bain, la coiffe, l’habille avec une infinie tendresse, comme pour rattraper tous ces moments perdus. Il l’installe dans un bel appartement. Puis cette mère tant aimée décède. Malgré les menaces qui pèsent sur lui Felice reste à Naples. On comprend qu’il éprouve le besoin de solder son passé, d’où son obstination à revoir Oreste, car il souhaite vivre le reste de ses jours dans sa ville.  Il déambule dans son ancien quartier avec ses souvenirs, hume sa ville pour y retrouver les odeurs de sa jeunesse perdue, ce qui semble être pour lui un besoin existentiel. Martone a placé en exergue de son film une citation de Pier Paolo Pasolini : « La connaissance est dans la nostalgie. Qui ne s’est pas perdu ne se connaît pas ». Felice s’est retrouvé, avant que de se perdre, définitivement. 

Le film a également une dimension sociale. Martone met en scène la figure magnifique et courageuse de Padre Luigi Rega, prêtre militant (inspiré d’une figure réelle, Don Antonio Loffredo) qui, ennemi de la Camorra, organise dans son église transformée en ring de boxe, des activités pour les jeunes afin qu’ils évitent la spirale de la délinquance ; il devient le confident de Felice. 

Un film plein de mélancolie, amer, tragique et bouleversant.

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