Auteur : Alain Ughetto est un réalisateur, scénariste, acteur français. En 1985, Alain Resnais lui remet le César du meilleur court-métrage d’animation pour La Boule. En 2013, il réalise Jasmine, son premier long-métrage d’animation sur la lutte pour l’amour et la liberté en Iran. Interdit aux chiens et aux italiens a remporté le Prix du Jury au Festival International du Film d’Animation d’Annecy en juin 2022.
Interprètes : Ariane Ascaride (voix de la grand-mère) ; Alain Ughetto (le narrateur).
Résumé : Alain Ughetto nous conte à travers ses marionnettes, la vie de ses grands-parents piémontais qui ont fui la misère dans le Piémont italien et ont migré en France entre les deux guerres.
Analyse : C’est une petite merveille de film d’animation, poétique, tendre, émouvant, drôle, original. A travers l’histoire intime de cette famille avec ses joies, ses malheurs, ses souffrances, le réalisateur nous raconte également l’histoire de l’Europe avec ses deux guerres mondiales et leur cortège de victimes. Les Ughetto sont originaires d’un village piémontais, Uguettera, dont tous les habitants portaient le même nom. Voulant retrouver la trace de ses aïeux Alain Uguetto est parti à la recherche de ce village. Il n’a trouvé que ruines. Il n’a même pas retrouvé le cimetière. L’idée de ce documentaire est née, maturée neuf années durant. Chez les Uguetto ils étaient neuf. Le réalisateur représente Luigi et Cesira avec leurs enfants, marionnettes de 23 cm« aux grands yeux étonnés », animées image par image selon la technique dite du stop motion qui leur fait prendre vie. Mêlant de façon originale et habile le passé et le présent, il intervient dans son documentaire avec sa belle voix chaude de conteur, discutant avec ses petites marionnettes, spécialement avec sa grand-mère, « mémé », qui lui demande « Qu’est-ce que tu veux savoir ? ». On voit même sa main qui s’invite dans le champ pour tendre un outil à son grand-père ou à son « papa » âgé de 7 ans, ou qui prend tendrement celle de sa grand-mère ! Les mains, qui étaient leur seule richesse. Il nous conte sans fausse honte la vie misérable de sa famille victime des curés et des milices fascistes qui leur prenaient le peu qu’ils avaient. Il nous conte la pauvreté qui poussaient les hommes à franchir la frontière pour se louer dans des travaux de force, avant que de partir définitivement. Sans aucun misérabilisme car les dialogues en italien et en français sont savoureux et pleins de cet humour italien qui donne à la vie une merveilleuse légèreté. Un documentaire nimbé de poésie où les fleurs volent dans la chevelure de la grand-mère, où les brocolis deviennent des arbres, le charbon de bois des montagnes, les morceaux de sucre ou de carton ondulé des maisons.
Ces italiens, dont les journaux de l’époque parlaient en ces termes : « Ce qui caractérise l’ouvrier italien, c’est qu’il est souple, il endure tout (…), il courbe la tête et il obéit », étaient en butte au racisme malgré les services qu’ils rendaient. Le titre du documentaire qui rappelle le contenu de certains panneaux apposés sur les portes des bars, interpelle et met mal à l’aise ; les panneaux de la honte. On ne peut pas ne pas penser à l’accueil qui est réservé aujourd’hui aux mêmes immigrés de la faim.
Le film se termine sur la très belle phrase que dit la grand-mère, à laquelle Ariane Ascaride prête sa voix : « On ne vient pas d’un pays, on vient de son enfance ».
Ce film est malheureusement peu distribué dans sa semaine de sortie. Ne tardez pas à aller le voir.