Auteur : Christophe Cognet, né en 1966, est un réalisateur, scénariste, documentariste, écrivain français. Après des études de cinéma à l ‘Université Sorbonne-Nouvelle, il réalise des documentaires qui posent des réflexions sur le mécanisme de la création ou de l’écriture : il fait un documentaire sur le film inachevé d’Orson Welles (L’affaire Dominici par Orson Welles (2000) ou sur Fred Vargas, Les Sentiers de Fred Vargas(2001). Il travaille également sur la mémoire. Depuis 1993 il effectue des recherches sur les artistes peintres déportés dans les camps nazis, L’Atelier de Boris (2004), Quand nos yeux sont fermés (2006) ou un long métrage Parce que j’étais peintre (2014). Il publie en 2019 Éclats sur les clichés retrouvés des détenus des camps de concentration, qui formera le thème central de son dernier documentaire À pas aveugles.
Résumé : Dans des camps de concentration et d’extermination de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de déportés ont risqué leur vie pour prendre des photos clandestines et tenter de documenter l’enfer que les nazis cachaient au monde. Christophe Cognet recompose les traces de ces hommes et femmes au courage inouï, pour exhumer l’histoire de leurs photographies.
Analyse : Le documentaire de Christophe Cognet commence par des images paisibles. Une pluie battante qui tombe sur la clairière d’un bois et une petite étendue d’eau. Lorsque la pluie cesse remontent à la surface une multitude de petits cailloux blancs. Un homme les manipule et nous apprend que ce sont des restes d’ossements humains ! l’horreur est déjà là. Nous sommes sur l’emplacement d’un des nombreux crematorium mis en place par le régime nazi. L’écrivain documentariste dans son inlassable étude sur les camps de concentration (Parce que j’étais peintre, 2013) poursuit sa recherche en exhumant les rares photographies clandestines prises par les prisonniers eux-mêmes au péril de leur vie. Sa démarche consiste à confronter, à travers ces clichés, le passé et le présent pour mieux témoigner du passé, composant ainsi une archéologie des images. Allant de Dachau, Buchenwald, Mittelbau-Dora, Ravensbrück à Auschwitz-Birkenau il parcourt ces lieux avec des plaques photographiques en main pour rechercher avec minutie et obstination, en comparant l’image avec les paysages actuels, les lieux exacts représentés par les différents clichés, de quels endroits ils ont été probablement pris, par quels moyens et comment ils ont été dissimulés. Témoignages si courageux, d’autant plus précieux et indispensables que le IIIe Reich, on le sait, a tenté d’effacer la trace de ses abominations. Les clichés proviennent de six déporté.e.s. Il y a les portraits de quatre femmes, celles qu’on appelait les « lapins », objets d’expérimentations médicales dans leur chair, dressés par l’une d’elles, la résistante polonaise Joanna Szydlowska, cachés par Germaine Tillion jusqu’à sa libération. Des femmes qui en nous montrant leurs mutilations nous fixent comme pour nous dire « vous n’oublierez pas ». Il y a surtout les clichés terrifiants du juif grec Alberto Errera, membre du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau (prisonniers forcés de participer à la ‘solution finale’), pris depuis une chambre à gaz, qui montrent un ensemble de femmes nues qui vont aller « à la douche ». Le cliché suivant nous montre une multitude de corps morts blafards que des prisonniers trainent dans une fosse pour une crémation à ciel ouvert. Un témoignage pris de l’intérieur des camps de la mort sur une des plus grandes infamies de l’Histoire que Christophe Cognet nous transmet : « Puisque ces hommes et ces femmes se sont acharnés à nous transmettre ces images, il nous faut les regarder ».