Autrice : Kelly Reichardt, née en 1964 est une scénariste et réalisatrice américaine. Elle s’intéresse tout d’abord à la photographie, entre à l’école du musée des beaux-arts à Boston, puis s’installe à New York en 1988. Elle travaille avec Todd Haynes et donne des cours de cinéma. Elle réalise son premier long métrage, River of Grass en 1989 qui obtient le Prix du grand jury au festival de Sundance. Son second film, Old Joy (2006), réalisé avec Jonathan Raymond, écrivain américain, lui fait acquérir un début de reconnaissance en Europe. Wendy et Lucy (2008) qui marque le début de sa collaboration avec Michelle Williams, est sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard. Elle réalise un anti western La Dernière piste (2011) puis Night Moves (2013) récompensé du Grand Prix du Jury à Deauville. Son film Certaines Femmes (2016) est particulièrement remarqué. Son avant dernier film First Cow (2019) confirme sa prédilection pour un cinéma pastoral. Elle est considérée aujourd’hui comme une des plus grandes réalisatrices du cinéma indépendant américain. Le Centre Pompidou lui a consacré en 2022 une rétrospective intégrale. Showing up a été présenté en sélection officielle à Cannes 2022.
Interprètes : Michelle Williams (Lizzy) ; Hong Chau (Jo, la propriétaire) ; Judd Hirsch (le père).
Résumé : Lizzy est une sculptrice à quelques semaines du vernissage de son exposition. Les problèmes matériels s’invitent pour perturber sa concentration créatrice.
Analyse : Lizzy vit à Portland dans un quartier d’artistes où elle transforme son garage en atelier. Elle est en dehors des circuits officiels de l’art, sans soutien particulier, sans mécènes. Elle galère, comme beaucoup d’artistes, aux États-Unis ou ailleurs. Elle doit travailler dans une école d’art, dirigée par sa mère, pour survivre. Elle se heurte en plus aux tracasseries du quotidien. Elle n’a plus d’eau chaude et ne peut se doucher, elle entretient des rapports aigres-doux avec sa propriétaire qui, elle, prépare deux expositions, elle s’occupe d’un pigeon blessé par son chat exigeant, qu’elle finit par recueillir et soigne avec beaucoup d’engagement comme elle le ferait pour un animal domestique. Du point de vue familial ce n’est guère mieux : elle a des difficultés relationnelles avec un frère alcoolique, un père âgé qui héberge des squatteurs qui pillent son frigo, une mère distante… C’est beaucoup pour une artiste qui a besoin de toute sa concentration. On peut comprendre la mine constamment bougonne et renfrognée de Lizzy, qui manifeste son agacement, sa fatigue, mais également le stress d’une date qui approche et pour laquelle elle ne se sent pas prête. État d’âme magnifiquement rendu par le jeu subtil de Michelle Williams. Mais elle s’accroche, persévère, se réfugie dans la création en s’acharnant, avec des gestes sûrs et précis, à donner forme à de petites figurines de glaise représentant des femmes dansantes ou douloureuses d’une grande expressivité (œuvres de la céramiste Cynthia Lahti). Moments émouvants de l’artiste concentrée sur sa création. Certaines figurines sont altérées par une mauvaise cuisson. Métaphore d’une réalité : l’artiste, le sculpteur ou la sculptrice en particulier, n’est jamais sûr.e du résultat de son œuvre qui souvent le ou la dépasse. Ces détails de banalité de la vie ne font pourtant pas perdre pas de vue que le film nous parle essentiellement de création artistique. Reichardt évite les clichés sur l’artiste tel qu’il est trop souvent figuré au cinéma, légende dorée d’un être romantique, fiévreux, tourmenté par les affres de la création, un peu hors sol. Ici l’art est noyé dans les contingences matérielles qui empiètent sur l’inspiration et la concentration nécessaire pour donner forme à une émotion. Un art sans affèterie qui se crée sous nos yeux sans qu’on s’en rende compte en épousant l’ordinaire du quotidien. Jusqu’au moment du vernissage, symbolisé par l’envol du pigeon guéri, comme l‘est Lizzy de toutes ses tracasseries triviales dont l’art a triomphé. Une œuvre d’une profonde simplicité, un cinéma naturaliste, très concis, léger, épuré, une ode à la création et à ses affres ; une poésie du quotidien qui n’est pas sans rappeler Paterson de Jim Jarmusch. Un film doux, apaisant, terriblement attachant.