The Wasteland

Auteur : Ahmad Bahrami né en 1972 est un réalisateur, acteur, scénariste iranien. Ancien élève de Kiarostami, il a réalisé trois films dont The Wastetown (2022), deuxième élément d’une trilogie annoncée, dont le premier élément est The Wasteland (2020), récompensé à la Mostra de Venise en 2020 et par le Prix du Jury et celui de l’EAC au festival Nouvelles Images Persanes à Vitré.

Interprètes : Ali Bagheri (Lotfollah) ; Farrokh Nemati (le patron) ; Mahdieh Nassaj (Sarvar).

Résumé : Quelque part en plein désert, au Sud de l’Iran, des employés tentent de s’organiser pour affronter au mieux la fermeture prochaine de l’usine de briques où ils travaillent.

Analyse : Un film bouleversant d’une grande beauté formelle et d’une infinie tristesse. Un film qu’on croirait tourné dans les années 50 avec une « patte à l’ancienne », de longs travellings sur cette usine qu’on sent vouée à disparaître, sur ces paysages désertiques faits de cailloux et de pistes rudimentaires, dans un format 4/3 pour mieux cerner, enfermer les personnages et les lieux, de longs plans séquences sophistiqués, dans un somptueux noir et blanc, cinéma qui n’est pas sans rappeler celui du hongrois Béla Tarr (Ours d’argent au Festival de Berlin en 2011 pour Le Cheval de Turin). Le réalisateur prend son temps pour révéler son histoire. Il a choisi une narration en boucle. L’annonce de la fermeture de l’usine par le patron « Vous savez que j’ai tout fait pour garder cette briqueterie ouverte… » est répétée à plusieurs reprises, chaque fois plus détaillée, entrecoupée de flash-back sur la situation des ouvriers. L’unité de lieu, huis clos à ciel ouvert, donne l’impression de l’enfermement inéluctable dans lequel se trouvent ces quelques familles, rivées à leur travail et à la masure qui leur est concédée comme habitat mais qu’ils devront quand même quitter. Ouvriers recroquevillés, abattus de fatigue, travaillant cette terre à main nue pour en sortir des briques charriées sur des brouettes de fortune et empilées à la main, dont on apprend que certains n’ont pas été payés depuis neuf mois. Un lieu de désolation et de souffrance. Le patron promet bien sûr de revenir les payer quand il aura l’argent car, dit-il, les briqueteries ferment, étranglées par l’usage du ciment, et il n’a plus d’argent (une voix dans l’assistance murmurera qu’il ment !). La délation auprès du patron, le jeu des désirs amoureux, avoués et inavoués, le mensonge, le racisme envers les ouvriers kurdes, le paternalisme du propriétaire qui régente leur vie personnelle, sont le quotidien de cette petite communauté. L’intermédiaire docile entre le patron et les familles, le contremaître Lotfollah, homme à tout faire, taillable et corvéable à merci, qui n’a pas quitté les lieux depuis sa naissance il y a 40 ans, est une figure centrale et bienveillante de ces lieux. Il veille à apporter des morceaux de glace à chaque famille, pour leur donner un peu de fraicheur et de l’eau. 

En dénonçant les dérives d’un capitalisme patriarcal, la malheureuse situation de certains ouvriers iraniens, avec des images d’une très grande beauté dans une magnifique lumière, Ahmad Bahrimi nous offre une de ces pépites de pur cinéma que l’on ne voit plus, hélas, très souvent.

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