Auteur : Aki Kaurismäki, né en 1957, est un réalisateur de cinéma finlandais. A ses débuts il fréquente diverses cinémathèques des environs d’Helsinki et écrit des articles. Il se fait recaler à l’entrée de l’école de cinéma (on le juge trop cynique) et apprend donc sur le tas. Il gagne sa vie en exerçant plusieurs métiers (facteur, ouvrier du bâtiment, etc.) ; le reste du temps il voit une grande quantité de films dans les circuits Art et Essai notamment. Le début de sa carrière cinématographique est marqué par une étroite collaboration avec son frère Mika, réalisateur : il joue dans ses films Le Menteur (1981), en écrit les scénarios et co-réalise certains. Son premier long métrage très remarqué est une adaptation de Crime et Châtiment de Dostoïevski (1983). Il enchaîne ensuite avec un film très différent, Calamari Union (1985). Amoureux de la Nouvelle Vague française, il donne le nom de Villealpha à sa maison de production, en hommage au film Alphaville de Jean-Luc Godard. Ses films commencent à attirer l’attention dans les festivals. Il obtient une large reconnaissance internationale avec La Fille aux allumettes (1990), troisième volet de sa Trilogie du prolétariat. Il tourne ensuite notamment J’ai engagé un tueur (1991) avec Jean-Pierre Léaud qu’il admire depuis toujours, adapte la même année l’opéra La Bohème (La Vie de bohème), avec des acteurs français. Son film L’Homme sans passé a reçu le Grand Prix et le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2002 et a été nommé aux Oscars en 2003 pour le meilleur film en langue étrangère. Il écrit et réalise Le Havre, avec un autre de ses acteurs préférés, le français André Wilms, et sa muse Kati Outinen, sélectionné pour le Festival de Cannes 2011, qui reçoit le Prix Louis-Delluc en 2011. L’autre côté de l’espoir (voir la fiche du 22 mars 2017), son avant dernier film, obtient l’ours d’argent du meilleur réalisateur à la Berlinale 2017.
Interprètes : Alma Pöysti (Ansa) ; Jussi Vatanen (Holoppa).
Résumé : Célibataires de longue date, une femme et un homme pensent enfin trouver leur âme sœur quand ils se rencontrent par hasard dans les rues d’Helsinki.
Analyse : Le style d’Aki Kaurismäki est tellement personnel et singulier qu’on a l’impression qu’il fait toujours le même film. On y retrouve les mêmes personnages simples, cabossés de la vie, la même tristesse profonde, le même humour froid et décalé (« — Je suis déprimé parce que je bois. – Mais pourquoi tu bois alors ? – Parce que je suis déprimé.« ), le même sens du burlesque et du minimalisme, la même poésie du quotidien, les bars de quartier, les bandes de musiciens locaux, et les cinémas. Et pourtant à chaque fois ce magicien nous séduit et on est émerveillé.e.s de découvrir un nouveau petit bijou. Ansa et Holappa sont deux sous-prolétaires finlandais qui mènent des existences désespérément solitaires et précaires, victimes d’un capitalisme effréné, de patrons voyous qui jettent leurs employés à la rue du jour au lendemain, sans état d’âme et sans les payer. Lui, travaille comme ouvrier sur des chantiers dont il se fait systématiquement virer en raison de son alcoolisme. Elle, vient de perdre son emploi de magasinière dans un supermarché pour avoir « osé » voler un sandwich avarié promis à la poubelle… Quand ces deux-là se rencontrent dans un bar karaoké, c’est une sorte de miracle. Par un regard échangé sur un lied de Schubert chanté par un amateur, on comprend qu’ils sont faits pour s’aimer. Mais comme dans la chanson de Prévert, « la vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement sans faire de bruit ». La voie de leur amour n’est pas simple : ils vont se chercher, se trouver, se perdre à nouveau, se retrouver. Comme les personnages chers à Kaurismäki, ils sont dignes, pauvres, mutiques, mélancoliques. Ils évoluent dans un décor désuet, à l’ameublement minimaliste dans le style des années 50, dans des couleurs rouges, bleues ou vertes ; ils fréquentent des petits bistrots de quartier, avec des chansons populaires, de toutes les époques, y compris « Les feuilles mortes » chantée en Finlandais qui clôturera le film, hommage appuyé à Prévert. L’amour du cinéma du réalisateur, particulièrement pour la nouvelle vague française, transparait dans chacun de ses films. Holoppa emmène Ansa au cinéma, lieu qui devient leur point de rencontre, voir The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch où Godard, Besson sont cités, avec de vieilles affiches de Rocco et ses frères ou de Pierrot le Fou.
En 1h20, ce qui remarquable, le réalisateur nous dit tout de l’existence : l’humour froid qui aide à vivre, l’exploitation des travailleurs, les amours incertaines, la difficulté de vivre, la solitude, l’alcoolisme, la solidarité, les menaces qui pèsent sur notre monde d’aujourd’hui.
Le réalisateur qui voulait arrêter de filmer depuis 2017 a repris la caméra en réaction, nous dit-il, à son « angoisse face à des guerres vaines et criminelles ». Il ne faut pas oublier que la Finlande partage plus de 1300 kilomètres de frontière avec la Russie. La guerre en Ukraine est omniprésente ; les radios, dans ce décor vintage, diffusent constamment des nouvelles du front. Malgré cela, ce film, petite merveille de poésie, de tendresse et de délicatesse, nous rend terriblement heureux et heureuses.