Auteur : Marco Bellocchio, né en 1939 (84 ans), réalisateur et scénariste italien, a fait ses études à l’Académie d’art dramatique de Milan et au Centre du Cinéma Expérimental. Dès son premier film, précurseur des mouvements sociaux de mai 68, Les poings dans les poches (Pugni in tasca, 1965), les critiques cinématographiques le remarquent. Il s’attaque méthodiquement aux symboles conformistes italiens et à toutes les institutions de la société quand elles bafouent la liberté et la dignité humaine. Il a fustigé la famille (Les poings dans les poches, 1965), l’armée (La Marche triomphale, 1976), la bourgeoisie (La Nourrice, 1999), le terrorisme (Buongiorno notte, 1980 et dans sa récente série Esterno notte, 2022),le fascisme (Vincere, 2009), la mafia (Le traitre, 2019 voir la fiche du 6 novembre 2019). L’Église n’y a pas échappé (Au nom du père, 1972) avec aujourd’hui Rapito (L’Enlèvement). Il a été souvent en compétition officielle au Festival de Cannes où grâce au Saut dans le vide (Salto nel vuoto, 1980) Michel Piccoli et Anouk Aimée ont gagné respectivement les Prix du meilleur acteur et de la meilleure actrice et où la projection du Diable au corps (Il diavolo in corpo, 1986), qui présente des scènes de sexe explicites, avait provoqué un véritable scandale. Sa filmographie est très abondante (25 longs métrages). Ses films ont le plus souvent un aspect politique. Il a d’ailleurs été dans les années 60 militant d’extrême gauche et a fait un temps partie de l’Union des communistes italiens (marxistes-léninistes). L’enlèvement a été présenté en sélection officielle au festival de Cannes 2023.
Interprètes : Enea Sala (Edgardo jeune) ; Leonardo Maltese (Edgardo plus âgé) ; Paolo Pierebon (Pape Pie IX) ; Fausto Russo Alesi (Le père, M ; Mortara) ; Barbara Ronchi (La mère, Mme Mortara) ; Filippo Timi (Cardinal Antonelli).
Résumé : Au milieu du XIXe siècle, une famille juive de Bologne tente de récupérer son enfant enlevé par le Pape au nom d’une loi d’un autre âge.
Analyse : Mêlant de nouveau l’intime et le politique Marco Bellocchio signe un magnifique film en faisant un portrait au vitriol de l’Église. Les évènements retracés sont historiques. Nous sommes en 1858 à Bologne. Les soldats du pape font irruption dans une famille juive, les Mortara, pour récupérer leur fils Edgardo âgé de 7 ans. Il aurait été baptisé en secret par une servante et donc doit recevoir une éducation catholique conformément à la loi pontificale. Les parents d’Edgardo, dévastés, mettent tout en œuvre pour récupérer leur fils. Leur combat prend rapidement une dimension politique qui indigne le monde entier car ils sont soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et par la communauté juive internationale. Mais le Pape refuse de rendre l’enfant, « Non possumus ». A 83 ans le cinéaste n’a pas perdu de sa combativité et continue à faire un cinéma politique engagé. Il fustige l’antisémitisme de l’Église catholique. Avec des méthodes dignes du Moyen-Âge, le pape Pie IX humilie les émissaires et éloigne volontairement cet enfant de sa famille en lui faisant faire subir un lavage de cerveau terrifiant pour le détourner de sa foi juive qu’il finira par renier. Il réalise un film d’une superbe beauté formelle, dans les tonalités sombres avec des clairs obscurs dignes du Caravage, essentiellement dans les couvents ou les églises. Une mise en scène de facture classique, où il montre remarquablement les effets dévastateurs sur un jeune cerveau d’un enseignement à sens unique. Dans cette réalisation magistrale Bellocchio brosse également une fresque historique du passé italien qu’il mêle volontiers à ses films. Sur une durée de 15 ans il balaie non seulement l’histoire de cet enlèvement, la réaction de la famille, les pressions nationales et internationales, la vie de cet enfant et l’oubli progressif de sa religion d’origine, mais il y ajoute un pan de l’histoire italienne, le risorgimento, l’unification italienne, au moment où la papauté perd son pouvoir en raison de la prise progressive des États pontificaux par les troupes de la maison royale de Savoie. Un film qui résonne dans notre époque en montrant comment une religion étatique peut avoir les conséquences funestes que l’on connait. Un film puissant, passionnant, un des meilleurs dans la filmographie du réalisateur, et qui est, hélas, un des grands oubliés du palmarès du dernier festival de Cannes.
Bellissimo compte rendu du film de Marco Bellocchio, sur les méfaits du pape Pio IX, dont le nom résonne encore dans les jurons populaires en Italie : Maledetto pio nono ; Accidenti a pio nono, et, en langue sarde: Sa bagassa e’piou nonou. Et pour cause !
Merci Pardo pour ta fidélité !