Auteur : Amr Gamal, né en 1983, est un réalisateur, producteur, scénariste yéménite. Installée en Pologne, c’est seulement en 1989 que sa famille rentre à Aden. Il fonde la troupe de théâtre Khaleej Aden en 2005 pour relancer le théâtre commercial au Yémen après une interruption de plusieurs années due aux conséquences de la guerre civile de 1994. Il a appris le cinéma sur le tas : « J’ai fait des études d’ingénieur tout en faisant du théâtre avec un collectif. On a créé des pièces, puis on m’a proposé de tourner des séries. ». Avec des projections bricolées, (« Nous avons loué deux salles de mariage, et dans chacune d’elles nous avons accroché un grand panneau en bois, peint en blanc, pour faire un écran »), il a réussi à montrer en 2018 son premier film Ten Days Before the Wedding qui a eu un tel succès qu’il a représenté le Yémen aux Oscars. Les lueurs d’Aden, son second, a été présenté à la Berlinale 2023 et au festival international du film de Saint-Jean-de-Luz. Il représentera le Yémen aux Oscars.
Interprètes : Khaled Hamdan (Amed) ; Abeer Mohammed (Isra’a)
Résumé : Dans un Yémen religieux et en proie à la guerre civile, Amed et Isra’a ont déjà trois enfants. Un quatrième s’annonce. Une bouche supplémentaire à nourrir n’est pas possible. Ils essayent de faire pratiquer un avortement, officiellement interdit. Un parcours du combattant.
Analyse : Les films yéménites sont trop rares pour ne pas les signaler. Depuis 1990 et la réunification du pays, le Yémen est en proie aux islamistes et à la guerre civile entre les Houthis (soutenus par l’Iran) et les loyalistes (soutenus par l’Arabie Saoudite). En décembre 2023, les Houthis et le gouvernement du Yémen ont signé un cessez-le-feu ; prémisse à un processus de paix ? L’avortement y est bien sûr interdit car tout enfant est un don de Dieu. Le réalisateur Amr Gamal est un des rares à continuer à croire au cinéma et au théâtre dans un pays où la plupart des théâtres et des cinémas ont été fermés. Si le thème est l’histoire, tirée d’un fait réel, d’une femme, soutenue par son mari, qui veut avorter, le réalisateur en profite pour nous donner une vision de sa ville et de son pays. L’État semble être absent pour la population. L’eau est rationnée, les coupures d’électricité constantes, les contrôles militaires comme les abus de pouvoir fréquents, les prix augmentent, sans parler de la corruption. Les fonctionnaires des services publics ne sont plus payés depuis des mois et doivent se rendre régulièrement dans un bureau où on leur dit de revenir dans deux mois car ils en sont au paiement des salaires d’un autre ministère. Ahmed, était journaliste à la télévision d’État, mais l’État ne l’a plus payé. Pour subvenir aux besoins de sa famille il devient chauffeur de taxi avec son véhicule, à défaut d’autre chose. Ils sont obligés de déménager dans un logement quasi insalubre. Un quatrième enfant qui s’annonce est impensable pour eux. Dans ce pays religieux c’est une véritable lutte pour arriver à avorter. Isra’a a opportunément une amie gynécologue – les femmes peuvent encore exercer un métier – mais elle est très religieuse et se voile intégralement devant tout homme. Elle est tiraillée entre son métier, venir en aide aux femmes, et ses convictions religieuses. Une tension bien maintenue tout au long d’un film qui sans misérabilisme et avec sobriété nous montre la paupérisation d’une classe moyenne qui tente de survivre et se heurte aux croyances religieuses dans un pays qui laisse sa population à l’abandon. Des images rares car peu d‘informations filtrent sur la vie quotidienne dans ce pays. Aucun film commercial n’y a été exploité depuis près de trente ans. Les lueurs d’Aden est un film courageux qui aborde un sujet tabou avec une belle mise en scène, rigoureuse et subtile, qui a valeur de témoignage.