L’Homme d’argile

Autrice : Anaïs Tellenne, née en 1987 est une actrice, réalisatrice, scénariste française. Elle est surtout connue pour son métier d’actrice. Elle a mis en scène au théâtre une comédie d’Anne Vantal, C’est au 5e. Elle a réalisé trois courts métrages, 19 juin (2018), La Mal bleu (2018), Modern Jazz (2019). L’Homme d’argile est son premier long métrage qui a été sélectionné à la Mostra de Venise 2023.

Interprètes : Emmanuelle Devos (Garance) ; Raphaël Thiéry (Raphaël) ; Mireille Pitot (la mère) ; Marie-Christine Orry (la postière).

Résumé : Un sexagénaire borgne voit son existence bouleversée quand l’héritière du manoir où il vit et dont il s’occupe depuis la mort des propriétaires se présente sur place.

Analyse : Un premier film remarquable de maîtrise, avec une mise en scène précise, minutieuse, et une superbe photographie. D’un sujet banal et traité de multiples fois, la belle et la bête (on pense bien sûr à Cocteau et au mythe du Golhem), Anaïs Tellenne en tire une œuvre originale, ambitieuse et attachante. Raphaël est un personnage mal dégrossi, rugueux, physiquement très disgracieux, et borgne de surcroit. Mais on sent chez cet être primitif des élans de tendresse notamment dans la manière dont il s’occupe de sa vieille mère. Sa vie affective se limite à des ébats sur commande avec la postière du coin. Quand la propriétaire du manoir, Garance, débarque à l’improviste par une nuit pluvieuse, c’est un évènement fracassant dans la vie de cet homme qui s’occupe avec sa mère de ce manoir inhabité depuis de longs mois. Ce qu’il ne sait pas très bien c’est que Garance est une artiste, performeuse, sculptrice, dessinatrice de grande renommée. Sa présence va le bouleverser. Pour lui elle est un soleil dans sa vie et l’on voit à la manière dont il veut s’occuper d’elle et au regard qu’il lui porte, le sentiment amoureux qui se développe au fil des jours. Pour elle, sculptrice, il est « une gueule », de celles que recherche tout sculpteur car c’est la promesse d’une œuvre forte. Elle l’exprime en lui disant “Quand je vous regarde, j’ai l’impression de me promener. Vous êtes comme un paysage, un paysage changeant, accidenté, un canyon… Je pourrai passer des jours à vous parcourir ». Elle convainc Raphaël de poser pour elle. Les mains de la sculptrice qui travaillent l’argile avec sensualité, la lumière chaude et douce qui les enveloppe, donnent à ces moments d’intimité une intensité palpable dans ce huit-clos d’un salon transformé en atelier. Une fascination réciproque s’installe entre eux, mais pas sur le même registre. Une relation particulière s’installe toujours entre un sculpteur et son modèle. D’un côté ce dernier devient pour lui comme un objet singulier qu’il utilise, dans un lien de subordination, tout en lui étant reconnaissant d’être sa source d’inspiration. Pour le modèle il y a une fierté à être sous le regard d’un artiste, de l’inspirer et de se voir reproduit dans une œuvre d’art. Raphaël est troublé par le regard que porte sur lui sa patronne ; il se sent revivre. Elle lui ouvre un monde nouveau, celui d’une classe sociale supérieure à laquelle il croit accéder grâce à elle qu’il aime avec une âme d’enfant, avec la naïveté d’un adolescent qui découvre l’amour pour la première fois. La complexité de cette relation est parfaitement exprimée par la mise en scène. Certes Emmanuelle Devos en Garance tient sa place et offre un jeu impeccable, mais Raphaël (Raphaël Thiéry) est un véritable monument qui écrase le film. Colosse aux pieds d’argile il montre toute ses failles et est particulièrement émouvant lorsque dans une scène finale, mélange d’onirisme et de réalité, il doit faire face à une dure réalité et retrouver sa place. Un film d’une grande force qui reste longtemps en mémoire.

Laisser un commentaire