Autrice : Rosine Mbakam, née en 1980, est une réalisatrice camerounaise. Elle suit une formation en audiovisuel au Cameroun entre 2001 et 2004. Elle rejoint ensuite l’équipe de la chaine de télévision privée camerounaise STV (Spectrum Télévision) où elle travaille en tant que reporter d’images et réalisatrice de programmes de 2004 à 2007. Elle quitte alors le Cameroun pour la Belgique où elle poursuit ses études en cinéma. Elle sort diplômée de l’INSAS en 2012. Elle réalise ses premiers films, des courts métrages, dès 2009 alors qu’elle est encore étudiante. Après l’obtention de son diplôme, elle réalise et monte des films et documentaires pour la société de production Africalia tout en réalisant ses propres films. En 2016 elle réalise son premier long métrage documentaire, Les Deux Visages d’une femme Bamiléké, en 2018 un second Chez Jolie Coiffure, en 2021 un troisième Les Prières de Delphine. Ces trois films rencontrent un réel succès et lui permettent de participer à plusieurs festivals internationaux et de remporter de nombreux prix et récompenses. Mambar Pierrette est son premier long métrage de fiction qui a été présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2023.
Interprète : Pierrette Aboheu Njeuthat (Pierrette Mambar).
Résumé : Couturière à Douala, Pierrette s’occupe seule de ses enfants et de sa mère et doit faire face à tous les coups du sort.
Analyse : Une battante Pierrette Mambar ! Elle fait face à l’adversité des éléments naturels, l’eau qui envahit régulièrement sa boutique et gâche ses fournitures et son travail, aux aléas économiques, l’argent qui manque régulièrement, avec un courage, une obstination et une résignation dignes de respect. Elle doit faire face également à la violence de la société : elle se fait agresser et dépouiller de tout son argent. Mais combien de Pierrette existent en Afrique ? Ce continent noir (mais ce n’est pas le seul) est connu pour le courage et le travail acharné de ses femmes, souvent bien plus important que celui des hommes. L’image d’une femme marchant droite sous le poids d’un énorme fardeau sur la tête, un enfant dans le dos et un bidon d’eau dans la main tandis que l’homme trottine devant, se contenant de guider sa bête ou assis sur son âne, n’est pas un fantasme mais une dure réalité. Pierrette est de cette trempe-là. Le mari est absent (Un homme dans ma vie, c’est juste un bonus dit-elle). Elle est seule pour s’occuper de ses enfants, de sa vieille mère, recevoir ses clientes et coudre, coudre toute la journée. Elle ne doit compter que sur ses forces. Certes le travail ne manque pas. Nous la rencontrons au moment de la rentrée des classes ; il faut faire les tenues scolaires, réparer les cartables, créer de nouvelles robes pour les mamans. Rosine Mbakam qui vient du documentaire, concentre sa caméra sur Pierrette (sa cousine dans la vraie vie), sur ses mains en particulier, avec des plans très resserrés qui nous plongent au cœur de la vie de cette couturière. Pierrette est également une sorte de confidente de ses clientes, ce qui permet à la réalisatrice de montrer en arrière-plan, sans concession, le contexte politique et sociologique de ce pays, où la guerre, le chômage, la corruption, la délinquance, la pauvreté, sont le lot quotidien d’une population qui tente de survivre avec pugnacité, patience et résignation. Pierrette, actrice non professionnelle comme tous les autres intervenants, est d’un naturel désarmant. Elle aborde toutes les questions qui tissent sa vie, la pauvreté, le poids des traditions, les droits des femmes, avec une grande lucidité, sans pour autant s’apitoyer sur son sort. Une fiction nourrie d’une matière largement documentaire, d’une grande force, qui nous montre, sans misérabilisme, une tranche de vie dans un pays africain où la survie est une lutte de tous les instants.