Autrice : Asmae El Moudir, née en 1990, est une réalisatrice, scénariste et productrice marocaine. En 2010, elle est diplômée d’un master en production à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication (ISCA) de Rabat. En 2013, elle intègre l’Université d’été de La Fémis. Elle y réalise Mémoires anachroniques ou le couscous du vendredi midi. En 2019, elle réalise La guerre oubliée, film documentaire historique. Après avoir réalisé plusieurs courts métrages, elle réalise en 2020, La Carte postale, son premier long métrage documentaire. Dans ce film, elle retrouve une carte postale qui représente le village de sa mère. Cette image est le début d’une enquête sur l’enfance de sa mère. La mère de tous les mensonges, a été présenté au festival de Cannes en 2023 dans la section Un certain regard et a été récompensé d’un Prix de la mise en scène, ainsi que de l’Œil d’or du meilleur documentaire.
Résumé : Casablanca. La jeune cinéaste Asmae El Moudir cherche à démêler les mensonges qui se transmettent dans sa famille. C’est alors que les blessures de tout un peuple émergent et que l’Histoire oubliée du Maroc se révèle.
Analyse : Asmae El Moudir cherche, dans un documentaire de toute beauté, à retracer son histoire familiale. A l’aide de son père bricoleur et de sa mère il et elles reconstituent en maquette de carton le quartier dans lequel elle a vécu son enfance, et par des figurines, très artisanales, fabriquées en argile, bois, tissus et papier peint, représentent les habitants du quartier et les membres de la famille. Tout semble au début se concentrer sur une histoire familiale. Il y a la grand-mère, personnage important, tyran domestique, qui mène tout le monde à la canne, qui interdit d’afficher des images, excepté celle du roi Hassan II qu’elle vénère et qui, par un geste latéral de son index sur sa bouche comme une fermeture éclair, refuse de reparler du passé. La réalisatrice est à la recherche d’une image manquante, la sienne. Elle cherche désespérément une photo d’elle petite et sa mère lui présente une photo de classe la représentant mais c’est un mensonge, comme pour s’excuser de n’avoir pas fait faire de photo de sa fille. Un peu plus tard, la réalisatrice ira en cachette de ses parents chez le photographe pour faire réaliser le seul portrait d’elle qu’elle retrouvera. Mais ce n’est pas la seule image manquante. Progressivement, en faisant parler ses oncles et ses cousins, c’est tout un épisode dramatique de l’histoire du Maroc, peu connu, qui se révèle. Le 20 juin 1981 à Casablanca, pendant les « Années de plomb », un soulèvement populaire, les émeutes du pain, éclate contre l’augmentation du prix de la farine. Un soulèvement très violement réprimé par la police, un véritable massacre qui a fait des centaines de morts que le gouvernement dictatorial d’Hassan II a voulu effacer de l’Histoire, enterrant à la hâte les corps des victimes, allant les chercher jusque dans les foyers pour qu’il n’y ait aucune sépulture officielle, aucune trace. La mère de tous les mensonges serait-elle la mère patrie ? Ce n’est qu’en 2016 que le royaume du Maroc reconnaîtra enfin sa responsabilité et procèdera aux funérailles des victimes en inaugurant un cimetière où les familles pourront enfin honorer leurs morts. Une seule une image subsiste de ce carnage, mais peu explicite, sur la violence de la répression. C’est donc un film éminemment politique. On pense évidemment à Rithy Panh, ce cinéaste cambodgien qui dans L’Image manquante (2013) ou dans Everything Will Be Ok (2022) a utilisé des petits personnages pour raconter l’histoire dramatique de son pays. Mais Asmae El Moudir y a ajouté l’intervention des membres de sa famille qui semblent se mouvoir dans cette maquette réaliste du quartier dans lequel la famille habitait. Un film habile et intelligent, entre documentaire et fiction, dans lequel la présence des figurines permet d’adoucir la violence des évènements. Par sa voix off chaleureuse, la réalisatrice libère la parole trop longtemps tue et nous fait également comprendre les raisons de l’attitude de cette grand-mère acariâtre qui n’a pas d’autres moyens pour exprimer sa colère d’un passé particulièrement douloureux. Une œuvre prometteuse, intelligente et inventive d’une jeune réalisatrice à suivre.