Auteur : Gábor Reisz, né en 1980, est un acteur, scénariste, directeur de la photographie, compositeur de musique de films et réalisateur hongrois. Il est diplômé de l’université ELTE en histoire et théorie du cinéma (2006), et de l’université des arts du théâtre et du cinéma en 2013. Il réalise son premier long métrage For Some Inexplicable Reason (Pour des raisons inexplicables) (2014), sur le passage à l’âge adulte. Puis Bad Poems (Mauvais poèmes) (2018), développé lors du programme de résidence du Festival de Cannes, et qui a été sélectionné pour la 32e cérémonie des prix du cinéma européen. L’Affaire Abel Trem est son troisième long métrage et a été récompensé par le Prix Orizzoni à la Mostra de Venise 2023.
Interprètes : Gaspàr Adonyl-Walsh (Abel) ; Istvan Znamenak (György le père) ; Andràas Rusznàk (Jakab, le profeseur) ; Rebeka Hathàzi (la journaliste).
Résumé : C’est la fin de l’année scolaire à Budapest. Recalé à son oral d’histoire, Abel décide de mentir à ses parents sur les raisons de son échec et déclenche un scandale politico-médiatique.
Analyse : Encore un film sur le milieu scolaire après La salle des profs (voir fiche précédente) et qui sort en même temps que Pas de vagues. Cette fois-ci c’est d’une tout autre tonalité. On ne reste pas dans le milieu scolaire mais c’est la description de toute une société : celle de la Hongrie sous Victor Orban. Un film formellement construit en chapitres, concentrés sur une dizaine de jours, donnant le point de vue des trois principaux personnages, Abel, le jeune qui passe son bac, son père et le professeur, avec en plus le point de vue de la journaliste. La première partie s’attarde sur la vie de cet élève à la veille du bac, dans une ambiance très décontractée, son état amoureux, ses flâneries à vélo ; où l’on comprend très vite qu’il n’est pas spécialement préoccupé par ses études et son avenir. Des passages révélateurs lorsque ses parents lui font réviser son bac au cours d’un repas en lui posant des questions auxquelles il répond avec difficulté et un certain détachement, loin de la tension qui semble être celle de ses parents. Puis le film monte en tension. Abel se présente à l’examen. Il sèche littéralement devant la question d’histoire et tout autant devant celle de rattrapage que le jury lui accorde. Face à son père qui exerce une forte pression sur lui (« personne n’a jamais échoué dans la famille ») il va mentir en montant en exergue une réflexion du professeur sur le port de sa cocarde accrochée à son veston. Cette cocarde est traditionnellement portée à l’occasion de l’anniversaire de la guerre d’indépendance de 1848, mais elle est de plus en plus un signe de rattachement au Fidesz, le parti national-conservateur du premier ministre Viktor Orban. Ce qui n’est au départ qu’un mensonge d’un cancre pour éviter les foudres paternelles va devenir un véritable scandale politico-médiatique. Le réalisateur montre comment dans ces systèmes les fake news se construisent vite. Le père, ex-communiste passé à l’extrême droite, fervent électeur d’Orban, en parle à son médecin, le médecin répète tout à son chauffeur, le chauffeur à la coiffeuse, la coiffeuse à sa voisine, et ainsi de suite, jusqu’à tomber dans l’oreille d’une journaliste qui en quête de reconnaissance, voit là l’opportunité de sortir un papier qui fera mouche. Sans prendre parti frontalement le film, avec intelligence croise ces points de vue, montre la violence des antagonismes politiques et indique au spectateur avec subtilité où porter sa sympathie : vers le professeur de gauche, mal à l’aise dans ce système et parfaitement innocent, ou vers le père exalté, parfaitement à l’aise lui dans ce régime autoritaire et qui laisse peu d’espace de liberté à son fils.
Le réalisateur nous décrit également un monde scolaire avec un professeur piégé, une hiérarchie complètement débordée par la peur du scandale, des parents d’élèves arrogants et interventionnistes, à l‘image de La salle des profs. Il nous montre également à travers le portrait du jeune Abel combien cette jeunesse peut se sentir coincée entre des impératifs parentaux et sociétaux, ne sachant plus très bien comment assumer son avenir. Un grand film riche et intelligent.